Gilets Jaunes, Gyros Bleus et intersyndicale police : la violence sociale n’est pas prête de s’arrêter

La figure du Gilet Jaune bouscule l’imaginaire policier

« Mais, il ne faut pas s’y tromper : dans une société de plus en plus inégalitaire, la confrontation entre des pans entiers de la population (quartiers populaires, migrant.es, militants syndicaux et politiques, salarié.es et chômeurs, etc) ne pourra que s’aggraver et le danger est de faire de la police la solution à un problème social qui la dépasse ». [1]

Voici ce qu’écrivait Sud Intérieur en décembre 2017. Loin de nous l’idée de s’arroger le titre de devin mais devant l’étonnement provoqué les premiers temps par l’inédit mouvement des Gilets Jaunes, nous sommes nous-même étonnés de cet étonnement.

Car la violence sociale est telle qu’elle ne peut qu’exploser dans un mouvement généralisé de colère. Et bien que celle-ci fut, jusqu’à présent, circonscrite à quelques secteurs de la société, le mépris de classe, affiché par le président, son gouvernement et sa majorité, a agi comme un catalyseur pour une expression de cette colère dans de nouvelles formes de mobilisation et impliquant des personnes qui, pour un grand nombre, ne s’étaient jamais mobilisées.

Un mouvement qui a même déstabilisé le monde policier, habitué à voir dans les manifestants des ennemis et/ou des délinquants, particulièrement avec l’accélération de la criminalisation des mouvements sociaux dans les années 2000/2010. Ainsi, les policiers pouvaient assumer un rôle de répression sans risque d’empathie pour des causes pourtant justes (Altermondialisme, écologie, sauvegarde des retraites et des services publics, discriminations de toutes sortes dans les quartiers populaires, etc).[2]

Le mouvement des Gilets Jaunes a changé la donne par son caractère transpartisan et apartidaire, évoquant des réalités bien connues, car subies, des policiers. Et même si le pouvoir a tenté de ressortir la figure épouvantail du « casseur professionnel », celle-ci n’a pas résisté à l’épreuve des faits. Gardes à vue et comparutions immédiates ont montré que le recours à la violence était le fait, majoritairement, de personnes aux profils divers et variés, pour beaucoup peu politisés, n’appartenant ni à la mouvance d’ultra-droite ni aux black blocks. De simples citoyens dans l’engrenage de la violence sociale.[3]

Tout à coup, le manifestant à réprimer n’est plus un « adorateur » de la violence mais le peuple dans sa diversité et son entièreté, une personne qui pourrait être un membre de la famille, un ami proche, une collègue de travail. Tout ceci explique sans doute la forte empathie ressentie au sein de la police pour les Gilets Jaunes, comme jamais dans l’Histoire récente pour un mouvement social, et ce même après les violences qui ont émaillé les divers Actes au cours des mois de novembre et décembre.

D’autant plus que ces violences ont été jugées, dans « l’opinion publique, moins sévèrement qu’à l’accoutumée. Le soutien aux Gilets Jaunes reste majoritaire dans la société malgré les images de violence tournant en boucle sur les chaînes d’information, validant que leur colère et leur combat sont justes. Terrible symbole de voir que la violence est nécessaire pour que le pouvoir politique prenne conscience (publiquement s’entend) de la souffrance du peuple. Terrible aveu d’échec pour notre démocratie capitaliste à bout de souffle.

Gyros Bleus et Intersyndicale Police : une succession d’erreurs historiques ?

Les policiers ne sont pas épargnés par les conséquences des inégalités croissantes et les injustices multiples de notre société. Leur place, en tant que citoyens et victimes du système capitaliste, au sein des mouvements sociaux, devrait être naturelle. Encore plus au sein d’une mobilisation comme les Gilets Jaunes qui s’est annoncée très tôt comme apartidaire. Un mouvement qui, dès ses débuts, a appelé les forces de l’ordre à les rejoindre, comprenant que tous partageaient les mêmes problèmes.

Le monde policier a fini par répondre aux Gilets Jaunes. Malheureusement, pas en rejoignant pleinement la colère légitime du peuple mais en faisant bande à part. Les Gyros Bleus d’un côté, l’intersyndicale des trois syndicats majoritaires chez les Gardiens de la Paix et Gradés de l’autre (Unité SGP, Alliance PN et UNSA Police), les seconds obtenant, comme toujours, quelques miettes après un proto-mouvement social.

Or, les policiers étaient en position de force pour réclamer bien plus, notamment sur les conditions de travail, les heures supplémentaires et une réorganisation du service public de la sécurité. Surtout, ils auraient pu apporter leur poids à une mobilisation plus large afin de contraindre le gouvernement à une politique sociale plus juste et redéfinir les principes démocratiques de notre nation, dans lesquels les relations police-population sont l’un des enjeux.

Il n’en est rien et, aujourd’hui, les policiers se sont enfermés dans leur bulle, créant un fort ressentiment dans le reste de la Fonction Publique, abandonnée par l’État, et dans la population en général, qui a vu ces miettes gouvernementales concédées aux policiers comme une prime à tabasser les manifestants. Ce que les policiers ont gagné avec le protocole d’accord, c’est agrandir durablement le fossé entre la police et une large partie de la population.

Répondre au peuple par le mépris et les flashballs

Les nombreux blessés graves (dont des mutilations), les nombreux témoignages, les nombreuses vidéos de présumées violences policières (bien que nombreuses sont celles qui sont édifiantes… contexte ou pas)[4] et les nombreuses interpellations, notamment dites « préventives », ne peuvent que nous alarmer sur la gestion policière d’un conflit social dont la colère a été pourtant jugée légitime par tout le spectre politique français, y compris le gouvernement et la majorité présidentielle. Ce qui n’a pas empêché la Macronie de répondre à cette juste colère de la même manière que les gouvernements successifs ont répondu aux précédents conflits sociaux : combo mépris/bâton.

Le mépris s’est illustré autant par les petites phrases que par la réponse politique : répression et mesurettes. Face au défi de l’injustice sociale et d’une démocratie malade, le gouvernement a maintenu son cap d’une politique pour les riches et contre les pauvres (les nouvelles mesures sur le contrôle des chômeurs nous le rappellent violemment), noyant les exigences démocratiques dans un gloubiboulga de bons sentiments et de grand débat national, dans lequel il a tenté de faire diversion avec des sujets comme la question identitaire et l’immigration avant de se raviser, la ficelle étant trop grosse*.

Il faut dire que le pouvoir a été pris en défaut par le mouvement des Gilets Jaunes. Ce dernier est rapidement sorti de ses revendications originelles pour questionner redistribution des richesses et processus démocratique soit les deux questions sur lesquelles le capitalisme a imposé sa loi en spoliant le peuple de ses richesses et de sa légitimité. Deux questions sur lesquelles Emmanuel Macron a continué de répondre en allant toujours plus loin dans l’injustice sociale et l’autoritarisme. Il n’est donc pas étonnant qu’il subisse un tel choc en retour.

Et même si le pouvoir politique et ses suiveurs médiatiques[5] ont tenté de jouer la carte de la violence illégitime, des casseurs professionnels et des pilleurs pour dénigrer la réaction violence de certains à une violence sociale insupportable, la réalité a été toute autre :

– sur Paris, les gardes à vue et les comparutions immédiates ont montré que les personnes interpellées, notamment pour des violences ou dégradations, étaient en grande majorité des personnes peu ou pas militantes, participant à leur premier mouvement social.

– malgré les violences et les vacances, le mouvement continue en étant déterminé à porter des préoccupations sociales et politiques, partagées par une grande majorité de la population en France.

Cette gestion policière d’un problème social et politique a eu pour conséquence de mettre en grave péril manifestants et policiers. Car nos collègues aussi ont été mis en danger, ont subi des violences graves. Si cela ne peut justifier des violences illégitimes en mission, que notre État de Droit doit sanctionner, la situation doit nous interroger collectivement sur un tel emploi de la police et la mise en danger de fonctionnaires dans des opérations répressives de maintien de l’ordre au lieu de ne pas répondre aux légitimes aspirations de justice sociale du peuple.

Les policiers eux-mêmes doivent interroger leurs pratiques professionnelles quand autant de vidéos montrent des violences clairement illégitimes et anormales dans une démocratie. Mais loin d’être le fait de brebis galeuses, ces pratiques montrent une violence d’ordre structurel. Une violence institutionnelle. D’ailleurs, les discours et prises de paroles du ministre de l’Intérieur démontrent que le gouvernement ne se soucie guère de cette question, trop occupé à la surenchère sécuritaire et liberticide.

Une nouvelle loi liberticide pour mieux censurer la démocratie

Car face à l’échec des (fausses) promesses sociales et du duo répressif police/justice, le gouvernement joue une carte bien connue, celle de la nouvelle loi liberticide. Une nouvelle loi pour sauver la Nation et la démocratie face à l’ultra-violence de la « foule haineuse » des gilets jaunes. Pour sauver le droit de manifester, il faut donc le restreindre. Pour plus de liberté, il faut moins de liberté. Orwellien.

Et ficher. Toujours ficher. Toujours créer au sein du peuple un ennemi à ficher, contrôler, assigner, interpeller pour ne pas penser à celles et ceux qui œuvrent à la casse sociale, à la précarisation de notre société, à la violence politique d’une démocratie malade des intérêts d’une minorité possédante.

Certaines mesures, que prépare le gouvernement, sont inspirées des mesures de répression et de contrôle des supporters de football (car ces mesures allaient bien au-delà de la lutte contre les seuls hooligans) et de l’État d’urgence. Une nouvelle fois, des mesures prises dans des contextes précis et exceptionnels viennent se fondre dans le droit commun et criminaliser encore les mouvements sociaux.

Violence institutionnelle : le ministère de l’Intérieur doit être un gardien de la paix et non pas une force de l’ordre [6]

Sud Intérieur dénonce la dérive totalitaire des institutions et la violence disproportionnée et illégale à laquelle l’arbitraire du pouvoir contraint des agents publics à obéir.

Sud Intérieur n’accepte pas le détournement des personnels de police et de gendarmerie en les confrontant de mauvaise foi et abusivement aux revendications légitimes de la population.

Sud Intérieur dénonce la prise en otage des policiers et gendarmes – soumis à l’obligation d’obéir et au principe hiérarchique – pour une politique juridiquement et économiquement erronée.

La police et la gendarmerie sont un service public affecté à l’intérêt et au bien-être général.

Le ministère de l’intérieur garantit l’exercice effectif des libertés publiques. Cela suppose l’utilisation par les policiers et gendarmes – en cas de nécessité absolue uniquement – d’un matériel adapté excluant l’usage d’armes capables de tuer ou mutiler des citoyens pour les empêcher d’exercer leur droit à manifester.

De telles précautions sont indispensables à la protection aussi bien des manifestants que les policiers et gendarmes eux-mêmes.

Les hauts fonctionnaires ont une obligation de conseil à l’égard du politique. Elle est négligée.

La doctrine d’emploi des forces de l’ordre n’est pas conforme au droit international humanitaire. L’emploi d’armes dans la répression des personnes civiles en temps de paix est inconventionnelle. Une loi ou un règlement ne peut pas être contraire aux normes internationales, conformément à la hiérarchie des normes.

L’Etat a l’obligation positive de garantir l’effectivité des droits de l’Homme. La régression sociale est prohibée par le droit international contraignant. Les partis politiques ont l’obligation de garantir et de défendre les droits de l’Homme ; aucun pouvoir ne peut donc ordonner de réprimer des manifestants dénonçant la régression sociale. Cette illégalité engage la responsabilité des donneurs d’ordre.

L’usage d’armes à feu sur des populations banalise une violence institutionnelle qui engage la responsabilité pénale.

Sud Intérieur constate que les donneurs d’ordre ne sont pas poursuivis ni les signataires de la doctrine d’emploi inconventionnelle, contrairement aux agents qui se trouvent à la base de la pyramide hiérarchique.

La politique illégitime du pouvoir au mépris l’ordre public républicain pour complaire au capital ne fait qu’aggraver les inégalités et l’injustice sociale. C’est la première cause des violences.

La violence institutionnelle illégitime prive de base légale les poursuites des manifestants pour rébellion, puisqu’ils sont en état de légitime défense.

Résister à l’oppression est un droit imprescriptible garanti par la Constitution. Le citoyen, manifestant mais aussi policier ou gendarme, soumis aux violences institutionnelles illégitimes est en état de nécessité de résister à l’oppression.

Le pouvoir entretient l’indignation et l’instrumentalise pour en tirer prétexte afin de renforcer la répression au mépris de la santé et de la sécurité des citoyens et des agents. Il y a détournement de pouvoir.

L’ordre n’est pas la justice et il faut parfois du désordre pour faire triompher la justice (a-t-on oublié que notre société et nos lois sont les enfants d’une révolution ?). Le policier est un auxiliaire de la justice et non le contraire.

S’il existe un ordre, c’est l’ordre républicain dont la norme fondamentale – consacrée par le Conseil d’Etat à la demande du ministre de l’intérieur – est le respect de la dignité humaine, matrice de tous les droits de l’Homme. Ainsi, la gifle d’un policier porte atteinte à la dignité comme a statué la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH 28 septembre 2015 n° 23380/09).

Le pouvoir alimente une situation pré-insurrectionnelle en opposant les agents aux citoyens. Les violences illégitimes à laquelle le pouvoir les amène sont les causes logiques du rejet de la police par la population par ailleurs à relativiser. Il est anormal de s’en plaindre sans dénoncer la responsabilité du pouvoir.

Sud Intérieur rappelle que la police et la gendarmerie ont l’obligation de garantir le droit à la sureté, un droit de l’Homme, à tous les citoyens. La sûreté n’est pas synonyme de sécurité.

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* tract réalisé avant la publication de la Lettre du Président de la République aux français où finalement ces thèmes ont été remis au goût du jour pou le grand débat national… ce qui est peu étonnant!

[1] https://sudinterieur.fr/2017/12/07/police-de-securite-du-quotidien-aller-au-dela-des-annonces-et-repenser-la-police/

[2] https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/temoignage-exclusif-d-un-crs-on-est-tous-gilets-jaunes

[3] https://www.europe1.fr/societe/gilets-jaunes-parfois-loin-de-limage-de-casseurs-une-soixantaine-de-personnes-en-comparution-immediate-3813158

[4] https://www.nouvelobs.com/societe/20190110.OBS8278/david-dufresne-la-police-s-est-enfermee-dans-une-logique-d-escalade-et-d-affrontement.html

[5] https://www.acrimed.org/Gilets-jaunes-voile-mediatique-sur-les-violences

[6] https://sudinterieur.fr/2016/05/13/violence-institutionnelle-le-ministere-de-linterieur-est-un-gardien-de-la-paix-et-non-pas-une-force-de-lordre/

Version PDF : tractGiletsJaunesSudInterieurJanvier2018