Réflexions sur le suicide et ses causes dans la police nationale, un cas de sinistralité au travail en France parmi beaucoup d’autres

Sud Intérieur vous propose la contribution de notre camarade Patrick Cahez, écrite pour le débat sur Mal-être et suicide au travail, lors du Salon du Livre des Lanceuses et Lanceurs d’Alerte 2019.

« Ce n’est pas la société qui éclaire le suicide, c’est le suicide qui éclaire la société »

« Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie »

SUD intérieur remercie les organisateurs du 5° Salon du livre des lanceuses et lanceurs d’alerte à Montreuil pour leur invitation à la table ronde « Suicide et travail, du mal-être à l’alerte ».

Le suicide au travail dans la police pose une cascade de questions sur l’état de nos institutions, leur dysfonctionnement et leur négligence des principes républicains.

Le suicide est un fait social qui interroge d’autant plus qu’il souffre d’un manque d’études enrapport à son importance, et tout particulièrement dans la police. Sa sinistralité dans la fonction publique alerte sur le reflux des valeurs républicaines en considération de l’inexécution des obligations hiérarchiques à garantir la santé et la sécurité des travailleurs. Le sujet pose aussi la question d’une abdication politique aux injonctions substituant les chiffres au droit .

L’augmentation du suicide et des risques psycho-sociaux au travail s’observe avec le mouvement d’individualisation du travail, la destruction de l’action collective, de l’action syndicale, de la solidarité qui protègent contre les abus et l’arbitraire. Il alerte ici sur une régression démocratique et l’accroissement de la discrimination.

Un tel mépris malgré des alertes, ne sont pas particuliers au ministère de l’intérieur. Il y a une inertie générale des pouvoir publics à s’abstenir durablement de lancer une action efficace pour chercher les causes du suicide et les prévenir. Une pareille indifférence interpelle sur un particularisme culturel du mépris pour la personne et la place du respect dans la formation des cadres; lesquels subissent la logique de l’organisation du travail qu’ils mettent en place.

Le mépris du droit par la hiérarchie est une cause du malaise dans la police. Sauf que l’agent confronté à l’illégalité est otage d’un texte mal écrit sur l’obligation de désobéir. La perfectibilité rédactionnelle – à dessein ? – dissuade quiconque, du fait même de l’ambiguïté à menacer de sanctions disciplinaires qui se risquerait à invoquer l’illégalité.

Saisi par SUD intérieur d’une modification de la loi pour imposer plutôt l’obligation du donneur d’ordre à garantir la légalité de ses instructions, le législateur n’a pas répondu au syndicat ni tenu compte de ses interventions dans son récent rapport sur la police. Le législateur refuse une issue efficace face à l’illégalité.

Le mal-être dans la police a fait récemment l’objet d’une enquête du Sénat et son rapport du 3 juillet 2018 évoque, comme causes, un comportement hiérarchique inadapté et une pratique déficiente de la gestion des personnels. La responsabilité de la direction des ressources humaines est pareillement montrée du doigt dans d’autres secteurs.

L’augmentation de la sinistralité suicidaire dans la police en 2019, l’année qui suit la publication très commentée du rapport du Sénat, interpelle cependant sur la mauvaise foi de la persistance des pouvoirs publics à s’abstenir de prendre les mesures efficaces qui s’imposent.

SUD intérieur a constaté cette abstention dans les services de gestion des personnels à défendre efficacement les droits collectifs et les garanties fondamentales des agents publics (de valeur constitutionnelle) face à une chaîne hiérarchique soudée dans le mépris de la dignité humaine, un élément du harcèlement. Cela fait grief à l’article 3 de la CEDH 44 qui pose la prohibition absolue de la torture et des traitements inhumains et dégradants ; alors qu’Emmanuel Macron a rappelé que l’administration et l’autorité judiciaire doivent appliquer immédiatement cette jurisprudence; ce qu’impose un arrêt de principe de la Cour de cassation depuis des années. Il y a une faute des pouvoirs publics et le droit de l’Union – qui s’interprète conformément à la Charte européenne des droits fondamentaux et de la jurisprudence de la CEDH – exclut toute
immunité, qu’il s’agisse de l’exécutif, du législateur ou des juges.

SUD intérieur déplore la mauvaise foi des pouvoirs publics allant jusqu’à faire obstacle aux décisions de justice favorables aux agents, alors même qu’une « mise au placard » constitue un détournement de fonds publics. Le ministère de l’intérieur ignore les démarches syndicales malgré l’obligation de l’administration à transiger; alors que les scandales confirment l’utilité d’un dialogue syndical dans le respect de la pluralité et que des syndicalistes, exerçant la liberté d’expression et d’opinion, comme le droit le leur garantit, sont réprimés.

Cette dérive est favorisée par le ministère public qui a une forte influence sur les juges et qui s’abstient de poursuivre la hiérarchie fautive malgré les procédures établissant la faute, l’obligation d’impartialité du procureur et son devoir de contrôle de la police.

Les demandes d’actes du syndicat sur les comportements délinquants de la hiérarchie se sont aussi heurtées au refus des tribunaux, malgré les arguments de fait et de droit du dossier. Les décisions rendues omettent les demandes du syndicat au mépris de la jurisprudence européenne et l’obligation de motivation des juges. Enfin, même s’il en existe, il est difficile et très coûteux de trouver des avocats qui acceptent de se battre contre le ministère public et la police.

Se pose enfin la responsabilité de la médecine de contrôle de la police qui couvre des comportements malgré sa connaissance d’une situation menaçant la santé des agents.

Cette instrumentalisation de la médecine par l’administration renvoie à l’action de l’Ordre desmédecins accueillant les plaintes des employeurs contre la médecine du travail.

Ce qui précède révèle donc une inertie générale de l’exécutif, du législatif et du judiciaire et soulève la question de la conformité de l’organisation judiciaire française aux standards européens et internationaux, d’une part, et celle de la conformité constitutionnelle de l’organisation des pouvoirs publics en considération de la perfectibilité de la séparation des pouvoirs, d’autre part.

Lire la suite de la contribution en version PDF (avec références) : Réflexion sur le suicide – Police Nationale