Loi sur le renseignement : tous fichés, tous coupables ?

L’Assemblée nationale vient d’adopter le 5 mai une loi liberticide à une incroyable majorité (1) au mépris de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et notamment son article 2 posant l’obligation aux partis politiques de veiller et protéger les droits imprescriptibles.  

Parmi eux, ces droits, n’en déplaise au ministre de l’intérieur, figure le droit à la vie privée, un droit de l’Homme couvrant notamment le secret des correspondances, l’inviolabilité du domicile, et un autre, le droit à un procès équitable, totalement méprisé, puisque dorénavant tout le monde est susceptible d’être surveillé sans qu’il lui soit possible de s’assurer que cette surveillance est fondée, d’avoir la certitude d’être respecté.

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Cette nouvelle loi des suspects dopée aux nouvelles technologies de l’information et de la communication initie la surveillance industrielle des populations, au mépris du droit à l’information des personnes mises en cause dans les procédures judiciaires pourtant garanti par une loi très récente étrangement oubliée du législateur (2), soulignant sa stupéfiante incohérence à violer les textes qu’il vient juste d’adopter.

Si le législateur est nul en droit, il l’est également dans sa compréhension des évidences.

Le secret défense est incompatible avec la procédure judiciaire, parce qu’une procédure équitable repose sur le principe du contradictoire, et le renseignement est étranger à la police judiciaire, parce que le premier s’applique à recueillir de l’information pour livrer des analyses alors que la seconde cherche des preuves matérielles pour la manifestation de la vérité. Le renseignement construit, fabrique, la police constate. Le premier s’inscrit dans la prospective alors que le second s’applique à comprendre et reconstituer un passé. Ces évidences montrent bien que la loi sur le renseignement est monstrueuse à prétendre concilier des méthodes et des champs temporels inconciliables.

Si la politique libérale met en concurrence la rentabilité de la main d’oeuvre avec celle de la spéculation, expliquant que le travailleur n’a plus de place dans le modèle dominant d’aujourd’hui (loi dite «  Macron ») ; la présomption d’innocence est pareillement mise en échec  par le fichage informatique d’une personne sur des années, comme le permet la loi sur le renseignement.

Elle offre à la répression le moyen de construire une mise en cause. Le flot des informations accumulées et stockées permettra à la police d’y sélectionner ce qu’il y a de plus opportun, les fichiers devenant un catalogue inépuisable de pré-constitutions de preuves pour « habiller » le gêneur et s’en débarrasser en exposant les faits sélectionnés, dont la masse ne manquera pas d’impressionner le tribunal. Tous coupables. Aucun mis en cause ne sera capable de répondre avec la précision d’un agenda électronique auquel il sera confronté. Voilà les procédures qui se préparent.

L’indécence politique à mépriser l’ordre public constitutionnel et les droits de l’Homme atteint son comble quand, sur France Info le 7 mai 2015 , Daniel Fasquelle, député UMP pourtant agrégé de droit, invoque le respect des droits fondamentaux pour critiquer la décision de la Chambre d’instruction à propos du dossier Sarkozy-Azibert-Herzog ; alors que ce député a voté favorablement la veille la loi sur le renseignement. Le syndrome de la mémoire courte a un autre champion en la personne de Manuel Valls, qui prétend se faire passer aujourd’hui pour le parangon de l’antiracisme après avoir banalisé dans les actes et les propos le mépris pour un groupe de population (Les Roms en l’occurrence) (3) et (4), ou dénonce le principe du fichage ethnique après s’en être fait le promoteur (5)

SurveillanceGénéralisée

Ce comportement gravement incohérent est accepté tous les jours sur les plateaux et dans les studios. La mansuétude et la persistance d’un tel comportement sont l’expression d’un mépris des gens.

La loi sur le renseignement en est l’expression, l’exemple dramatique auquel peut conduire le “confusianisme” superficiel caractérisant une politique qui n’est pas à la hauteur des valeurs de la République, dont les acteurs se réfugient dans l’apparence, réagissent dans l’immédiat, vivent dans l’éphémère, l’instant, et passent à autre chose, oublieux immédiatement de ce qu’ils viennent de dire, ou faire, sans se soucier du passé, ni des conséquences de leurs actes ; laissant un champ de ruines à la place du progrès social qui a nécessité des dizaines d’années, né des larmes, des souffrances et du sang de ceux qu’ils osent venir commémorer et s’approprier ainsi la notoriété, la respectabilité, par procuration.

N’en déplaise à ceux qui ne connaissent le devoir de mémoire que pour agrémenter leurs discours, ils ont dansé sur les fosses communes en votant la loi sur le renseignement. C’est une honte, une abdication, une lâcheté ; qui n’a pas l’excuse d’une armée d’occupation. Ils déclarent faire la guerre au terrorisme en étant incapables à respecter leurs propres valeurs. En les piétinant, ils font eux-mêmes table rase des principes qui font l’Etat de droit, la Démocratie. Ils démolissent ce qu’ils prétendent défendre. La loi sur le renseignement est l’expression d’un gouvernement qui a peur au point de renier ce qu’il a de plus précieux. C’est l’expression d’une politique grégaire, pas celle d’une société moderne.

Après la régression sociale de la loi dite «  Macron », la loi sur le renseignement aggrave encore la régression démocratique. C’est l’affirmation d’un échec global des droits de l’Homme, au coeur de l’Europe. Le politique considère peut-être qu’il n’y en a plus, d’humain. Inquiétant.

Médias dominants : une défense à géométrie [très] variable de la liberté de la presse

Suite aux attentats de janvier 2015, les médias dominants bramaient que c’était la liberté de la presse qu’on « assassinait » et qu’il fallait la défendre « pied à pied ». Ils sont pourtant restés bien discrets sur des dispositions qui sont plus que jamais attentatoires à cette liberté fondamentale mettant pourtant sous [très] étroite surveillance ceux qui sont en premier lieu censés l’incarner : les journalistes (6). Edifiant.

DU FOND ET DE LA MÉTHODE : REJOIGNEZ SUD INTÉRIEUR

(1) 438 voix pour et 86 contre
(2) Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales
(3) Comme le rappelle fort justement l’avocat Gilles Devers le 5 avril 2013 sur le site du journal 20 minutes dans un article intitulé « Roms : Valls condamné pour violations des droits fondamentaux ».Lien :http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2013/04/05/roms-valls-condamne-pour-violation-des-droits-fondamentaux.html
(4) « Roms : « Manuel Valls réhabilite un racisme à l’ancienne ». Interviw du philosophe Michel Feher sur le site des Inrocks le 26 septembre 2013. Lien : http://www.lesinrocks.com/2013/09/26/actualite/roms-feher-interview-racisme-a-lancienne-11430105/
(5) Comme le rappelait Ouest France sans son article du 7 mai 2014 « Fichage à Béziers. Quand Valls soutenait les statistiques ethniques ». Lien : http://www.ouest-france.fr/quand-valls-soutenait-les-statistiques-ethniques-3379390
(6) Dangers résumés dans le communiqué de l’association Action-Critique-Médias du 24 avril 2015 intitulé « Malaise au pays des droits de l’homme et des services spéciaux ». Lien : http://www.acrimed.org/article4650.html

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