Racisme dans la police : l’analyse de Sud Intérieur

crédit Titom / Attac Bruxelles

Le racisme dans la police est une question ancienne. Le cliché du policier raciste est bien implanté dans l’imaginaire collectif. Mais le racisme policier est-il une réalité ? Si oui, dans quelle mesure ? S’agit-il de quelques cas isolés, les fameuses « brebis galeuses », ou d’un phénomène systémique ?

Sud Intérieur n’a pas de réponse claire et définitive mais le syndicat, par son expérience de l’institution policière (et des responsables des services de l’État de manière générale), d’une part , et la documentation abondante sur le racisme et les pratiques discriminantes dans la police (sociologie, histoire, reportages, rapports du Défenseur des Droits) (1) propose une analyse qui appelle au changement depuis des années mais que l’administration persiste à ignorer.

Sud Intérieur, depuis sa création en 2002, a toujours dénoncé le racisme et toutes formes de discrimination, tant au sein du ministère de l’Intérieur qu’au sein de la société française, comme le fait pareillement l’ensemble de l’Union Syndicale Solidaires. Le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit. C’est une violence qui se manifeste jusqu’au sein des forces de sécurité, notamment.

Une discrimination systémique au niveau de l’Etat

C’est dans ce cadre que Sud Intérieur, loin d’une vision étriquée et corporatiste de la police, et de sa place dans l’Histoire et la société, a toujours dénoncé la discrimination systémique parcourant la police et les institutions de la République, une discrimination s’exerçant à travers le contrôle au faciès ou les violences policières et institutionnelles (2). La discrimination est globale dans le sens où elle dépasse les minorités dites racisées, selon ce terme emprunté aux sciences sociales, mais s’observe également à l’égard des femmes, des classes sociales modestes ou défavorisées, de l’action syndicale, des militants anti-capitalistes, des personnes musulmanes, les personnes LGBT, s’étendant progressivement à toute forme d’altérité, à des degrés ou sous des formes diverses. Tout groupe, dont la revendication du respect effectif de ses droits contrarie l’ordre inégalitaire qui bénéficie à la minorité possédante, est stigmatisé par le rappel d’un discours faisant des amalgames et recyclant des préjugés pour justifier une répression injustifiable en Droit. La forme l’emportant sur le fond, la communication sert depuis longtemps à escamoter et banaliser une dérive dénoncée au-délà de nos frontières par la communauté internationale (3).

Mais alors, peut-on dire que la police est raciste de manière systémique ? Le racisme est-il institutionnalisé au sein de la Police Nationale ?

À cette question de l’existence d’un racisme dans la police, Sud Intérieur choisit d’y répondre en parlant de discrimination systémique. Le racisme est une plaie abjecte qui n’a pas sa place au sein de la police et ce débat est beaucoup trop largement sous-estimée par l’administration et le gouvernement. Une mise en perspective historique du phénomène révèle l’ancienneté de ses manifestations dans l’institution dont l’importance exclut de pouvoir le résumer à quelques individualités, ce qui permet de s’interroger sur les dérives constatées dans les pratiques policières qui ne se réduisent pas à un service, une aire géographique, mais sur tout le territoire national.

Néanmoins, il nous semble difficile de parler de racisme institutionnalisé car ni l’État, ni le ministère de l’Intérieur, ni l’administration policière ne promeuvent, officiellement ou officieusement, un système raciste institutionnalisé, pensé et organisé à base de circulaires ou de notes de service, à part quelques exceptions notables au moment de la répression des populations Roms, par exemple (4). Et les agent.e.s de police ne se reconnaissent pas dans un tel système. Dans une grande majorité des cas, ils ne se pensent pas racistes ni discriminants d’aucune manière, même s’ils produisent de la discrimination par ailleurs. Il nous apparaît donc difficile de dire que la police est raciste de manière pro-active en tant qu’institution, comme elle le fut par le passé, quand le racisme était une norme qui structurait les missions de la police.

La chose nous paraît plus insidieuse. Si la police produit du racisme, c’est qu’elle s’est historiquement et politiquement structurée de manière à produire des comportements discriminants et oppressifs et que sa doctrine repose toujours sur le rapport de forces, l’autorité et non le respect impératif du Droit (5). Une forme de conservatisme réactionnaire qui maintient donc une conception dépassée et l’empêche donc de prétendre lutter efficacement contre le racisme en son sein, parce qu’elle refuse de reconsidérer ses méthodes de fonctionnement, de formation et son organisation. Bien au contraire, le principe hiérarchique s’est affirmé aux dépens de la légalité. Les décennies d’inaction à voir les causes et les conséquences structurelles d’un modèle qui favorisent les abus d’autorité ont fini de modéliser sous deux formes la discrimination dans le fonctionnement de la police.

Une discrimination institutionnalisée

par des politiques inégalitaires, sécuritaires et l’inertie des dirigeants

La première forme de l’institutionnalisation de la discrimination est sa justification par l’adoption de normes sécuritaires, d’une part, et l’inertie des institutions de contrôle et de direction pour prévenir ou sanctionner efficacement ces pratiques, d’autre part, soulevant la question de l’absence d’effectivité de la séparation des pouvoirs en France. La régression des libertés publiques accompagne la politique gouvernementale de régression sociale prohibée par le droit international public ratifié par la France. Cette convergence des régressions aggrave les discriminations et explique le rôle de plus en plus répressif dévolu à la police pour maintenir au pouvoir les artisans d’une politique de destruction sociale face à la montée des contestation qu’ils provoquent. Leur œuvre de destruction du lien social favorise le regain du totalitarisme, puisque leur travail de sape du tissu social affecte directement l’adhésion du plus grand nombre aux formes démocratiques des institutions et amène à accepter la violence comme moyen de résolution des conflits, sociaux ou domestiques. L’actualité montre un parallélisme de la montée des violences policières avec d’autres formes de violences, souvent oppressives et discriminantes, dans l’espace public ou privé : violences faites aux femmes, maltraitance des enfants ou des personnes âgées (6). Aucun secteur n’y échappe.

Il y a donc une erreur à réduire la violence systémique à la police. Le scandale des violences policières ne doit pas cacher le caractère global d’un phénomène qui s’observe partout et signale une abdication politique générale face à la recherche de l’optimisation immédiate des profits d’un tout petit nombre, dont la police est trop souvent réduite au rôle de cerbère.

La plus emblématique de ces pratiques discriminantes est le contrôle au faciès, symbole du déni politique et institutionnel du phénomène de la stigmatisation de l’altérité. Malgré la condamnation de l’État (7)– qui n’est s’est pas retourné contre les responsables par une action récursoire – et une documentation importante démontrant son existence (8), les responsables politiques et administratifs continuent de nier la réalité expliquant l’inertie de la police ainsi confortée et soutenue par les déclarations des syndicats majoritaires et la hiérarchie policière qui font que les policiers eux-mêmes finissent par être convaincus par la normalité d’un comportement qu’une abondante jurisprudence sanctionne pourtant et que feignent d’ignorer les nombreuses personnalités politiques et médiatiques influentes qui justifient la brutalité et les violences. Il y a une évidence raciste dans le contrôle au faciès dont la cause n’est pas à rechercher dans celui qui reçoit l’ordre de le faire mais dans la personne qui donne cet ordre et le maintient malgré son illégalité. Les acteurs de terrain sont confrontés à un système qu’ils n’approuvent pas mais les dépasse puisqu’il est pensé dans un cadre global, et ils doivent s’autocensurer sous la pression d’un très fort corporatisme victimaire, au risque sinon de se faire harceler, sanctionner. Les manifestants insultants des policiers issus de minorités de « vendus », ce qui est totalement méprisant et erroné sur le sens de leur engagement, tombe dans le même travers de la personnalisation d’un phénomène structurel et systémique qui fait le succès du regain identitaire.

Pour Sud Intérieur, penser le contrôle au faciès comme un signe que les policiers sont racistes, c’est manquer la cible. Le contrôle au faciès n’est en rien la conséquence de policiers qui voteraient massivement RN, argument souvent avancé, faisant de ce qui est une possible conséquence de l’évolution de la profession une cause. Les contrôles discriminatoires sont une conséquence des politiques sociales inégalitaires du système capitaliste, doublées de l’histoire politique de l’État français, profondément marquée par différentes formes de discrimination, histoire jamais totalement assumée et résolue.

Penser le contrôle au faciès comme un signe du racisme des policiers est donc un biais cognitif, puisque les policiers n’en décident pas et que le système leur ordonne de le faire et les contrôlent par le « chiffre » ou tout autre pression du résultat. Les contrôles discriminatoires sont une conséquence logique des politiques de régression sociale et du resserrement du contrôle social qu’elles imposent pour maintenir par la contrainte l’apparence d’un ordre public totalement méprisé par une gestion inégalitaires et capitaliste, dont l’histoire montre la constance et que les responsables à la tête des institutions refusent toujours d’admettre les abus et l’arbitraire et choisissent de nier par facilité, car les résoudre déplaît aux possesseurs de capitaux dont ils se vantent de chercher le soutien quand ils parlent « d’investisseurs ». C’est cette complaisance affairiste qui détourne les institutions de leur but de garantir le bien-être général et les concentrent sur une répression dont la stigmatisation de l’altérité est un stratagème pour justifier la violence.

Le libéralisme nécessitant le soutien d’un outil répressif puissant pour faire accepter l’augmentation des inégalités qu’il produit et contenir les révoltes sociales depuis deux siècles déjà, l’affirmation du néolibéralisme sur les quatre dernières décennies a amplifié le besoin de politiques sécuritaires au point d’intégrer un régime d’exception dans le droit commun (lois sur le terrorisme, les bandes violentes, le hooliganisme)(9). Cela s’est accompagné d’une communication institutionnelle destinée à convaincre « l’opinion publique » de la nécessité de l’abandon des libertés publiques en lui désignant des « ennemis » (10) – intérieurs comme extérieurs – et des menaces – allant jusqu’à parler de « guerre » – en stigmatisants des groupes de populations par l’âge, socialement, la religion, jusqu’au racisme, comme les Roms furent visés.

Les responsables de l’administration de la police ont accepté cette dérive et l’ont mise en œuvre sans contester ni critiquer alors que la haute fonction publique est tenue par le principe de légalité et l’obligation de conseil du politique. Il n’y a pas lieu d’attendre que le Conseil d’État le constate pour évoquer un doute sur la légalité d’une instruction. Il y a eu aussi une faillite du législateur qui méprise depuis des années les règles de légistique et notamment le respect de la hiérarchie des normes qui s’oppose à l’adoption de nombreux textes, malgré l’alerte de quelques parlementaires courageux.

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C’est donc dans ce cadre extrêmement contraignant que les policiers ont dû appliquer des textes de plus en plus répressifs, piégés dans l’illusion sécuritaire, et dont la mission d’assurer l’effectivité des libertés publiques a été détournée à son juste opposé par des politiques sécuritaires, qui se sont intensifiés depuis plus de 20 ans,. Le policier est soumis à une obligation d’obéissance et la loi est très mal écrite pour lui garantir l’effectivité de refuser un ordre illégal sans s’exposer à de très graves sanctions. SUD intérieur a saisi l’Assemblée nationale sur cette question mais les députées n’ont rien retenu de son intervention qui soulignait également que le donneur d’ordre n’est pas tenu à une obligation de garantir la légalité des instructions qu’il donne. Le policier déjà confronté à la violence par son métier (scènes de crime, interventions, etc.) supporte également une forte contrainte administrative, une autre forme de violence, à laquelle il ne peut pas échapper et le détourne de ce qui a motivé son engagement, puisque les politiques sécuritaires et la répression qui les inspirent ne répondent en rien aux besoins réels de la société. Au contraire, elles aggravent la violence sociale, dont le policier doit subir les conséquences jusque dans sa vie privée.

Sud Intérieur rappelle que la légitimité de l’autorité publique a sa source dans le respect de la loi, dans sa lettre et dans son esprit (cf. le droit constitutionnel de résister à l’oppression – art.2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Le maintien d’ordres conduisant à des pratiques discriminantes, comme le contrôle au faciès, font grief au respect de la dignité humaine, matrice de tous les droits humains dont l’Etat – à commencer par les autorités en charge et en responsabilité au ministère de l’intérieur – ont l’obligation positive d’en garantir l’efficacité comme l’a déclaré et s’y est engagé le président de la République devant la Cour européenne des droits de l’Homme. La persistance de pratiques discriminatoires décrédibilise l’action de la puissance publique. Il y a une faute inexcusable à les laisser persister, notamment au regard des enseignements de l’histoire qui en confirment la nature systémique, voire un particularisme politique dont il semble alors que la haute fonction publique est incapable de s’en émanciper.

Des comportements individuels inadmissibles dans un cadre défaillant

La deuxième forme des injustices qui caractérise la police est de l’ordre des comportements individuels discriminants, dont les actes racistes, qui relèvent à la fois de la responsabilité individuelle des agent.e.s et de la responsabilité collective de l’institution.

Les policiers sont mis en situation d’échec par les défaillances, les dysfonctionnements et les manquements propres à leur institution : une formation inadaptée aux réalités sociologiques et humaines du métier, un manque de moyens, un contrôle hiérarchique tatillon sur le superflu et défaillant sur le Droit, une exigence politique et hiérarchique quantitative qui repose sur des statistiques et non l’appréciation qualitative sérieuse sur le ressenti des populations, une politique sécuritaire orientée principalement à la répression et au contrôle social. Une telle organisation, un tel fonctionnement, un tel système ne prend manifestement pas en compte l’humain, donc sa dignité (11). Il s’en déduit une absence de volonté à prévenir ou mettre fin aux pratiques discriminantes, indépendamment du fait que ces pratiques puisse relever d’un.e fonctionnaire, d’une unité ou de tout un service (12).

Cette défaillance structurelle de l’institution n’excuse pas du tout et ne saurait en aucun cas justifier les comportements individuels inadmissibles, notamment les violences et les propos racistes. Rien n’excuse la haine raciste. Elle doit être comprise sous l’angle de l’analyse, pour y remédier, mais le résultat de cette compréhension ne saurait être une circonstance atténuante. Nous le répétons : le racisme est un délit, pas une opinion. Toute manifestation de racisme appelle à une réponse adaptée, pénale et disciplinaire. En démocratie, c’est un impératif catégorique dans une institution comme la police. Cet impératif est proportionnel à la délégation des prérogatives de puissance publique, que consent la collectivité à la police. Cela implique de l’institution d’entretenir cette confiance sans faille, notamment à propos du respect de la dignité des personnes, et de leur intégrité physique et psychologique.

Or, le dévoiement de ce pouvoir dans une société démocratique met en danger la légitimité de la Loi, de l’État et de la police. Le devoir d’exemplarité du policier ne peut donc se comparer à celui d’une personne qui n’aurait pas ce pouvoir. Un policier coupable de propos racistes n’est donc pas, contrairement à une défense assez commune dans la profession, un citoyen exerçant sa liberté d’expression ou aillant dérapé comme n’importe quel citoyen peut le faire. C’est un fonctionnaire qui compromet gravement la légitimité de sa fonction et de son institution. Sans compter qu’il serait peu probable que de telles idées ne puissent pas, de manière habituelle ou ponctuelle, influer sur la pratique professionnelle.

La répression grandissante et disproportionnée des mouvements sociaux, l’entrave incompréhensible à l’exercice d’un droit de recours effectif au mépris du délai raisonnable sont de nature à créer un doute très sérieux dans l’opinion quand l’accumulation des violences et des discriminations atteignent un niveau qui tend à laisser croire que c’est devenu le fonctionnement normal de l’institution et que celle-ci semble bénéficier d’une étonnante mansuétude au regard de la rigueur de la justice qui s’abat sur le dos des justiciables en comparutions immédiates (13).

Le moindre doute, le moindre soupçon devrait être efficacement écarté et prévenu. Des propos ou des comportements racistes dans la police, comme partout ailleurs, sont inexcusables. La liberté d’expression a pour limite infranchissable le respect de la dignité. Le racisme dans la police est de nature à compromettre gravement la confiance de l’opinion et la légitimité de l’action de l’institution. Il est parfaitement compréhensible que le doute que de tels comportements produisent, portent également à s’interroger sur leur influence dans la gestion des enquêtes ou la pratique professionnelle.

Des témoignage dans la presse (Médiapart, Arte, Streetpress…)(14) ont montré que les « cas isolés » étaient bien plus nombreux que ceux que l’administration admet. SUD intérieur exprime sa réserve à propos des affirmations du ministre de l’Intérieur ou des représentants de la Police Nationale (syndicats ou administration) sur la sanction systématique des abus en considération de ce que SUD constate de la réalité.

Premièrement, pour les quelques cas mis en lumière, combien de cas dans l’ombre ? Combien de propos discriminants, racistes, sexistes, islamophobes ou encore homophobes, sont passés inaperçus sur les réseaux sociaux, autour d’un café en salle de repos, dans une voiture de patrouille, dans un bureau d’audition ou lors d’un contrôle ? Et surtout, combien de non-réaction, combien d’acceptation d’un propos raciste sans que cela amène, si ce n’est un signalement, une réponse indignée à son auteur ? Au-delà des agent.e.s profondément racistes, difficile à quantifier évidemment, les policiers, à l’instar de l’ensemble de la société, se construisent à travers des normes dominantes (hétéronormativité, virilisme, sexisme, etc) et en baignant parfois dans des préjugés et clichés anciens, sur les juifs, les arabes, les noirs, les homosexuels, les roms, les gitans, les femmes, les jeunes de quartier populaire, les militants de gauche, les syndicalistes et tout ce que notre société, encore animée par une culture politique conservatrice et la culpabilisation des inégalités sociales ? Seule la connaissance exacte du nombre de personnes véhiculant des préjugés dans la police à l’égard de groupes de population peut permettre d’apprécier la gravité du phénomène et permettre sérieusement d’y réfléchir pour tenter sérieusement de le prévenir efficacement. La police nationale ne fait pas d’enquête sur ce point, ce qui ménage la tentation de l’arbitraire et compromet l’impartialité du service public.

crédit Titom / Attac Bruxelles

Ne travaillant pas sur l’importance du phénomène raciste dans la police, l’administration expose ainsi par ricochet tous les policiers à un amalgame que renforce l’accumulation des scandales et l’absence de sanction. Le policier qui n’est pas raciste subit donc la méfiance de la population et le même regard d’opprobre. Détesté par les collègues dont il ne supporte pas les excès et assimilé à eux malgré lui. Une situation dont il ne peut pas s’extraire du fait de l’inertie – ou la complaisance ? – de l’administration. Quant à dénoncer cela à la justice, l’accointance du ministère public et de la hiérarchie risque à aboutir à la condamnation pour dénonciation calomnieuse du policier pour son audace antiraciste (cet aspect est développé infra).

Cette inertie médiocre d’une organisation qui se réfugie dans le déni et refuse de revoir son fonctionnement finit par systématiser « un racisme sans raciste » (15) conduisant à banaliser la discrimination, la normer implicitement, et la rendre acceptable par une grande majorité de policiers qui n’étaient pas racistes – ou ne se sentent pas l’être – mais vont développer des comportements racistes, y compris dans la pratique professionnelle, sans même, pour beaucoup, se rendre compte que c’est du racisme. Au-delà de la question de l’illégalité de l’administration à maintenir le contrôle au faciès, cette normalisation de la discrimination conduit à la permettre même si les agents nient être racistes puisqu’elle leur est imposée comme normale. Un phénomène qui prend également source dans la fonction policière même, extrêmement contraignante, qui conduit à voir la part sombre et violence de la société, ce qui développe un biais négatif puissant dans le regard que porte le policier sur cette société et certains groupes sociaux (phénomène observable ailleurs mais particulièrement dans la police). Un tel biais peut expliquer la disproportion des groupes de population sureprésentés en prison. Laquelle sur-représentation va constituer un biais de confirmation pour justifier une logique opérationnelle à contrôler encore plus majoritairement ces personnes, sans qu’aucun responsable ne s’en émeuve et vienne mettre fin à une dérive servant d’argument aux discours identitaires et discriminatoires et leurs effets dévastateurs sur la société, le lien social, la cohésion et l’adhésion aux formes démocratiques des institutions. L’équilibre républicain est ainsi compromis par des pratiques policières à l’effet plus que limité sur la délinquance et stigmatisantes. C’est un mauvais exemple que donne l’institution aux promoteurs de la haine qui s’en servent et le relaient.

Deuxièmement, la difficulté pour un.e fonctionnaire de dénoncer les actions de violences illégitimes ou les propos discriminants de ses collègues est très peu évoquée, ni les risques de représailles, d’isolement, de harcèlement, soit par les collègues incriminés, soit par toute ou partie de son unité, soit par une hiérarchie qui va s’appliquer à le/la démolir avec l’intention plus ou moins avouée d’en faire un exemple, trouvant dans la justice un auxiliaire attentif jusqu’au point de commettre des faux. Ce parcours du combattant est abondamment commenté dans les services dans le but de décourager d’autres signalements. SUD intérieur a déjà informé le ministre sur cet obstacle aux droits de l’agent qui a des conséquences potentielles sur la sécurité des citoyens et l’impartialité des procédures. L’absence de recours effectif et efficace participe à l’immunité et à la dérive des comportements. Le statut de lanceur d’alerte quant à lui n’est qu’un miroir aux alouettes. La suspension du collègue policier ayant alerté les médias sur les dysfonctionnements du commissariat de Nice, dans l’enquête concernant les violences policières commises sur Geneviève Legay, le prouve aisément (16). Nous lui apportons notre soutien, tant nous avons déjà eu de nombreux exemples, dans les dossiers que nous avons traités, de la difficulté de réaliser un tel acte citoyen au sein du ministère de l’Intérieur.

Force est de constater qu’au delà de la police, il y a aussi un dysfonctionnement de la justice et de ses auxiliaires pour garantir l’efficacité des droits fondamentaux et leur respect dans la police (l’affaire de Geneviève Legay avec les actions du Procureur de la République de Nice est là encore un exemple éclairant). Cela interroge sur l’intensité du sentiment démocratique dans les professions juridiques.

La responsabilité individuelle de l’agent ne doit donc pas être exclusive et détachée de celle de l’administration, voire de la justice qui manquent à sanctionner les comportements quant ils leurs sont dénoncés et se retournent en revanche contre l’agent qui le leurs dénonce, conformément à son obligation légale telle qu’elle est énoncée, pour les policiers, à deux reprises dans le code de procédure pénale (art. 19 et art. 40 al 2). La responsabilité individuelle des agent.e.s se doit donc d’être engagée mais sans oublier la responsabilité collective et institutionnelle.

SUD intérieur émet un doute très sérieux s’agissant de l’IGPN et de la prétendue garantie d’indépendance que promet Christophe Castaner. Le service chargé d’enquêter sur la police nationale ne peut pas dépendre du ministère de l’Intérieur. Le code européen d’éthique de la police l’interdit et ce code s’impose au visa de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Bouyid (Grance Chambre). SUD Intérieur demande la création d’une autorité indépendante d’enquête et de contrôle, pluridisciplinaire, à même de garantir un véritable niveau de protections des agent.e.s signalant des manquements internes, tout en prenant en compte toutes les dimensions des pratiques policières déviantes, soit les dimensions personnelles et structurelles au sein de l’institution policière.

Repenser la société pour repenser la police

Lutter contre la discrimination systémique au sein de la police impose donc de repenser au-delà de la seule la police. Fort de ses constats et de ses actions, SUD Intérieur a déjà interpelé le ministère de l’Intérieur, le législateur et l’autorité judiciaire sur ce sujet, à plusieurs reprises. En vain. Ce qui y était exposé sont les éléments mêmes qui éclatent aujourd’hui comme des évidences.

La lutte contre les discriminations et les inégalités en France ne peuvent pas se limiter à quelques mesures d’ajustement. L’actualité est inscrite dans l’histoire de l’État français, à sa politique anti-sociale et sécuritaire, et à une organisation défaillante de la police, car elle ne répond pas ni n’est conforme aux standards européens et internationaux en matière de droits de l’Homme. La même question se pose pour la justice dont SUD Intérieur a pu mesurer la responsabilité dans ce qui se passe. Le constat ne porte donc pas seulement sur la police mais l’ensemble des institutions de l’État et l’organisation inégalitaire de notre société.

Il ne suffit pas de changer la police. Il faut changer la société qui, comme la police, ne correspond pas à ce que doit être un Etat de droit démocratique moderne dont le but est de garantir le bien-être général comme le proclame depuis deux siècles le préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Les citoyens qui manifestent contre les violences policières dénoncent l’archaïsme de la pensée qui les oppressent et demandent que la vie publique se mette à jour, s’adapte aux exigences d’une société fondée sur le respect de la dignité humaine et l’égalité effective de tous tant dans leurs droits que l’exercice de ceux-ci. Ce qui est la mission première de la police et du ministère de l’Intérieur. Ces dernières années illustrent l’importance du fourvoiement institutionnel.

Voici ce que nous écrivions en 2016 alors que l’État contestait sa condamnation pour contrôle au faciès en niant la réalité de celui-ci :

En contestant ce jugement et en prenant le parti de se défendre en légitimant des méthodes policières discriminatoires, l’État continue de se voiler la face et laisse pourrir une situation catastrophique aussi bien pour les personnes visées par des contrôles au faciès que pour les policiers et l’ensemble de la société. Il nourrit un ressentiment de nombreux-ses français-es issu-es de l’immigration, comme avec la déchéance de nationalité. Dans son mythe d’une République unie, il reste aveugle à la discrimination que subissent de nombreuses personnes, qu’elle soit raciste, religieuse, sexiste ou sociale. Il fait le lit des monstruosités identitaires qui atrophient le débat politique et médiatique depuis des décennies.

Ce constat est toujours le même, quatre ans après. Le policier subit l’abdication démocratique de la haute fonction publique, de l’exécutif et du législateur. Il n’a aucun moyen efficace de résister à l’arbitraire et SUD Intérieur a pu constater encore récemment le désintérêt des parlementaires au problème de l’inefficacité du devoir de désobéir à un ordre illégal.

Il est illusoire de ne dénoncer que les effets d’une politique en n’en montrant que les soutiers sans s’interroger sur ceux qui donnent les ordres ,sans en assumer les conséquences. Les violences policières ne sont qu’une forme de manifestation de la violence institutionnelle dont le débat exige comme préalable nécessaire de rétablir la balance des responsabilités. Toutes les responsabilités.

SUD INTERIEUR

DU FOND ET DE LA METHODE

REJOIGNEZ-NOUS

crédit Titom / Attac Bruxelles

(1) Plusieurs études françaises ou européennes ont mis en évidence la réalité de contrôles discriminatoires en France. En lire, en autres, sur le sujet :

Etude 2009 Open Society Justice Initiative & CNRS sur les contrôles de police https://www.justiceinitiative.org/uploads/4987f35b-807a-4c71-9da2-fa834ea30cc4/legalite-trahie-impact-controles-au-facies-20130925_5.pdf

Rapport Défenseur des Droits 2017 https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/actualites/relations-policepopulation-le-defenseur-des-droits-publie-une-enquete-sur-les

Avis 2016 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme https://www.cncdh.fr/sites/default/files/161108_avis_pratiques_des_controles_didentite_format_a5.pdf

(2) Tracts Sud Intérieur Quand l’État légitime le contrôle au faciès, il met la police et la démocratie en danger https://sudinterieur.fr/2016/03/25/quand-letat-legitime-le-controle-au-facies-il-met-la-police-et-la-democratie-en-danger/ & Violence institutionnelle : le Ministère de l’Intérieur est un gardien de la paix et non pas une force de l’ordre https://sudinterieur.fr/2016/05/13/violence-institutionnelle-le-ministere-de-linterieur-est-un-gardien-de-la-paix-et-non-pas-une-force-de-lordre/

(3) Violences policières, les experts de l’ONU demande au gouvernement de sortir du déni de réalité https://www.francebleu.fr/infos/societe/violences-policieres-les-experts-de-l-onu-demande-au-gouvernement-de-sortir-du-deni-de-realite-1558539823

(4) Paris : la police veut «évincer» les Roms des beaux quartiers https://www.leparisien.fr/faits-divers/paris-la-police-veut-evincer-les-roms-des-beaux-quartiers-15-04-2014-3769603.php

(5) relire à se sujet Surveiller et punir de Michel Foucault sur la fonction normalisante et disciplinaire de la police, au mépris du Droit

(6) https://www.vie-publique.fr/en-bref/274213-violences-sur-enfants-hausse-des-signalements-pendant-le-confinementhttps://www.francetvinfo.fr/societe/prise-en-charge-des-personnes-agees/maltraitance-des-personnes-agees-plus-de-3-500-signalements-ont-ete-adresses-au-3977-en-2018-soit-une-hausse-de-13_3193177.html

(7) https://www.liberation.fr/france/2016/11/09/la-cour-de-cassation-confirme-la-condamnation-de-l-etat-pour-des-controles-au-facies_1527326$

(8) voir (1)

(9) https://www.humanite.fr/vanessa-codaccioni-lantiterrorisme-est-lheritier-direct-de-la-justice-politique-dexception-598100

(10) https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/affaire-tarnac/proces-de-l-affaire-de-tarnac-on-a-ete-designes-comme-les-jeunes-heretiques-qu-il-fallait-emmener-au-bucher-temoigne-l-une-des-relaxees_2704070.html

(11) voir le dernier rapport du Sénat sur l’état de la police https://www.senat.fr/themes/rapports-police-et-securite.html

(12) https://www.liberation.fr/france/2020/06/02/le-defenseur-des-droits-denonce-un-cas-de-discrimination-systemique-par-la-police_1790094

(13) cf. Dominique Simmonot « Coups de barre » Le Canard enchaîné

(14) https://www.mediapart.fr/journal/france/040620/bougnoules-negres-fils-de-pute-de-juifs-quand-des-policiers-racistes-se-lachent?onglet=fullhttps://www.telerama.fr/radio/podcast-gardiens-de-la-paix-sur-arte-radio,-une-edifiante-plongee-au-coeur-du-racisme-policier,n6650087.phphttps://www.streetpress.com/sujet/1591618480-fdo-22-unis-deuxieme-groupe-facebook-milliers-policiers-echangent-racisme-raciste-violences-policieres

(15) https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/police-americaine-un-racisme-sans-raciste

(16) https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/nice/affaire-legay-suspension-nice-policier-soupconne-avoir-renseigne-mediapart-1835040.html

Analyse de Sud Interieur sur le racisme dans la police – version PDF