Police de Sécurité Quotidienne : plutôt un recyclage qu’une révolution

Gérard Collomb a décrit sa Police de Sécurité du Quotidien (PSQ) comme une révolution. Apparemment, le ministre de l’Intérieur confond le processus révolutionnaire avec celui de la boîte à idées.

Lors de l’annonce de la PSQ le 8 février dernier, nous avons eu droit à une annonce fourre-tout où les principes de cette « nouvelle » police se confondaient avec des annonces immobilières, en matériel ou sur la procédure pénale. Un flou typique qui entoure cette PSQ depuis qu’elle a été annoncée par le candidat Macron.

Décryptage par Sud Intérieur de la nébuleuse PSQ.

La fin de la politique du chiffre ?

Gérard Collomb a donc annoncé la fin de la politique du chiffre. Problème : C’était déjà la promesse du ministre de l’Intérieur, nouvellement nommé en 2012, Manuel Valls. Or, après quelques changements cosmétiques, les statistiques et la « performance » ouvrant droit à des primes (particulièrement pour les commissaires) avaient perduré.

Alors qu’on répétait officiellement à la population et aux policiers que la politique du chiffre était finie, le nouveau ministre de l’Intérieur vient de publiquement affirmer le contraire.

La politique du chiffre était censée ne plus exister ? Des primes de performance pour les commissaires et les officiers démontraient pourtant le contraire. Selon les grades et les corps, on peut donc faire du 10.000, 25.000 ou encore 60.000 euros à l’année, voir le double si « bons résultats ».

La Préfecture de Police déclarait au Point en 2016 que dans les faits, c’était plutôt du 20 ou 40 % en plus (1). Déjà une belle plus-value sur un travail collectif où les gardiens et gradés récupèrent, pour certains seulement, des miettes avec la fumeuse prime au « mérite ».

Évaluation : une possible avancée encore bien floue

Au lieu de la politique du chiffre, le ministère compte mettre en place une nouvelle évaluation de l’activité policière. Elle comprendrait notamment la consultation de la population. Sud Intérieur ne peut que se satisfaire d’une telle annonce, qui fait partie de nos revendications, mais reste très méfiant.

On ne sait quelle sera la nature de la consultation de la population. Or, une consultation menée auprès de la population peut être biaisée de bien des manières pour, non pas construire de la confiance ni coproduire de la sûreté, mais pour présenter l’action policière sous un jour flatteur et continuer une politique du chiffre d’un nouveau genre.

L’esprit managérial libéral n’a pas disparu des services publics et cet état d’esprit, qui nuit à l’intérêt général pour le bien de certains, continue d’infuser les réformes mises en place. La SNCF est l’exemple d’actualité et la police n’y échappe pas.

On ne voit pas comment la hiérarchie policière va renoncer à une telle part du gâteau, avec des primes si juteuses, et le risque est grand que l’évaluation de la population tourne au plébiscite tronqué pour soigner la communication de l’institution comme du ministre de l’Intérieur.

De plus, les statistiques ne vont pas disparaître et nous nous interrogeons sur l’équilibre dans l’évaluation des performances entre statistiques et consultation de la population. Nous nous interrogeons également sur la mise en pratique de cette nouvelle évaluation de l’activité policière et de la mise en place de la consultation de la population.

Pour rétablir la confiance entre la société française et sa police, la transparence est une condition sine qua non. Or, jusqu’ici, la performance policière est une question des plus opaques.

N’oublions pas que la France est l’une des mauvaises élèves de l’Union Européenne en matière de confiance dans la police, dans le dernier tiers de l’UE, selon des études menées récemment. Si les sondages et études montrent que les français.e.s soutiennent largement les policiers, ils n’ont pas forcément confiance dans l’institution policière et dans les méthodes de celle-ci (2).

Sud Intérieur, qui réclame la suppression des inspections générales des police et gendarmerie nationales (IGPN/IGGN) et la création d’une autorité administrative indépendante de contrôle type ancienne commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) (3) avec pouvoir d’enquête, propose que cette autorité administrative puisse également avoir pour rôle l’élaboration et la supervision de l’évaluation policière, notamment la consultation de la population.

Un outil démocratique de transparence nécessaire pour une pleine confiance de la société dans sa police.

Une formation initiale refondée : une possible avancée également floue

L’autre annonce potentiellement bienvenue, une réforme de la formation policière avec pour objectif de « densifier » certains modules et d’en créer de nouveaux, notamment pour améliorer la connaissance de l’environnement local et la manière d’échanger avec la population.

Là encore, Sud Intérieur milite depuis sa fondation pour une formation plus ouverte à la société et à des disciplines telle que la sociologie afin de mieux préparer les policiers, gagner en efficacité dans l’accomplissement des missions (et non atteindre une rentabilité par la politique du chiffre) et démocratiser la police.

C’est un enjeu central pour une police qui ne soit pas déconnectée de la population qu’elle doit servir et pour une police républicaine à même de se prémunir des tentations autoritaires et anti-démocratiques de certains gouvernements et du système capitaliste.

Malheureusement, il faudra attendre de voir la concrétisation de cette promesse ministérielle avant de se réjouir. Aujourd’hui, les besoins en effectif ont raccourci la durée de la formation. Les écoles de police sont des usines.

Pour mettre en place une ambitieuse réforme de la formation tout en en réservant une part importante à la procédure et aux gestes techniques de protection et d’intervention (GTPI), il faudra allonger la durée de la formation des gardiens de la paix.

Sans quoi, les nouveaux modules ne seront au mieux que de vagues sensibilisations comme c’est le cas aujourd’hui sur les violences faites aux femmes.

De telles thématiques prennent du temps. Le policier, comme la société qu’il va servir, mérite qu’on lui accorde le temps nécessaire à se former.

Flou artistique, recyclage et com’ : le trio « magique » du macronisme

La présentation du 8 février fut une ode à la stratégie macroniste :

– recycler des idées pour en faire des neuves, comme les quartiers de reconquête républicaine qui ressemblent étrangement aux Zones de Sécurité Prioritaire. Pourquoi changer le nom d’un dispositif si ce n’est par souci de com’ ? ;

– annoncer des mesures déjà prises sous le gouvernement précédent et qu’aurait du prendre n’importe quel gouvernement élu en 2017 pour des mesures nouvelles et ambitieuses : dotation en caméras-piéton, véhicules et en tablettes connectées, prévention du suicide (enfin des conséquences, pas des causes), rénovations et constructions immobilières, recrutement de personnels policiers et administratifs, etc. ;

– maintenir le flou sur le fond des mesures (évaluation, formation) ;

– soigner l’habillage de la réforme avec de belles infographies et une belle présentation collective et dynamique pour éviter un maximum que se voit le flou des mesures proposées et le manque de cohérence de l’ensemble.

La PSQ, loin d’être une révolution, et malgré quelques promesses séduisantes, laisse un goût d’inachevé et ne répond pas aux enjeux actuels de la police qui nécessitent une remise en cause profonde de son organisation et du faire police en France. La PSQ a loupé le train de la démocratisation de l’institution policière, signe d’un probable échec à venir.

Les très mauvais signaux de la PSQ : une justice au pas et le privé en « sauveur »…

Si on décrypte plus en profondeur les annonces du ministre de l’Intérieur, on voit que la PSQ reste une réforme de mesurettes qui n’a pas pour ambition de révolutionner la police. Son objectif est de tenter un compromis entre les aspirations démocratiques des citoyens pour leur police et la main-mise du pouvoir policier (hiérarchie, syndicats majoritaires, lobbies sécuritaires) sur la sécurité, tout en ouvrant grand la porte à la sécurité privée.

Dans ce jeu de dupes et de pouvoir, la justice est l’une des grandes perdantes. En présentant le projet de simplification de la procédure pénale dans le cadre de la PSQ, Gérard Collomb a lancé un signal clair : la police prime sur la justice. C’est le sens des propos du ministre quand il annonce que la PSQ répondra aux attentes des policiers sur l’effectivité des peines et les condamnations. Or, ces sujets ne dépendent pas d’une réforme de la police mais de celle de la justice.

Cependant, cette dernière ayant transformé la consultation des professionnel.les de la justice en une véritable parodie de dialogue social (4), il n’est pas étonnant que le centre de cette réforme soit à trouver du côté de la place Beauvau.

Or, une justice aux ordres des impératifs policiers, c’est un pouvoir judiciaire aux ordres de l’exécutif. Et sans une saine séparation des trois pouvoirs, la démocratie ne peut exister.

Ce recul démocratique fonctionne, dans le système capitaliste, avec un nécessaire partenaire : le privé. Afin de lutter contre les tâches indues (qui reste un concept flou et très variable selon l’idée que l’on se fait du service public), il sera encore renforcé (5). Que de juteux contrats en perspective !

Deux problèmes se posent avec ce recours massif à la sécurité privée : à la fois éthique et pratique.

Dans le premier cas, il faut s’interroger sur la délégation au privé de missions régaliennes de service public. Quand on touche à la sûreté, on touche aux libertés et un secteur privé, en recherche de rentabilité, de plus en plus invasif dans la gestion des libertés individuelles et collectives est un risque accru pour la démocratie.

Dans le second cas, les exemples foisonnent pour voir les errements du secteur privé en matière de sécurité. La Cour des Comptes a récemment épinglé le CNAPS pour la légèreté de ses accréditations ou de ses contrôles ainsi que des manquements déontologiques (6).

Quand le ministère envisage de déléguer des gardes hôpital de détenus à des agents dont on questionne leur accréditation et leur formation, on peut légitimement se montrer inquiet.

Bien entendu, de nombreux agents privés sont des professionnels sérieux mais les dispositifs d’accréditation et de formation ne sont pas au niveau pour déléguer certaines tâches à risque à la sécurité privée.

Penser la police, c’est penser la société

Penser la police, c’est nécessairement penser la société. La police dispose d’importants pouvoirs qui touchent aux libertés individuelles et collectives. Elle est le symbole de la bonne conduite d’un pouvoir politique et des rapports sociaux au sein d’une société.

Comme on a coutume de le dire, elle est à l’image de la société. Or, notre société est profondément inégalitaire avec un pouvoir politique et économique qui s’enfonce dans des dérives autoritaires, sous couvert d’efficacité managériale, menaçant les principes démocratiques d’un État de droit.

La France n’est pas une start-up nation. La démocratie n’est pas une méthode de management dépassée. Et la police mérite mieux qu’un semblant de consultation et qu’une action de communication en guise de réforme.

La PSQ est à l’image du macronisme : une promesse qui se veut ambitieuse mais qui s’étiole dans le flou d’un projet où la forme importe plus que le fond, où la technocratie prime sur la réflexion politique, où l’annonce du changement cache la volonté de garder intacte les vieilles méthodes, et avec elles, les mêmes échecs.

Car ce qui importe in fine à Emmanuel Macron et à son gouvernement, c’est de conserver les rapports de domination d’une minorité possédante sur le reste de la société.

C’est inacceptable pour Sud Intérieur qui revendique une transformation en profondeur de la société au bénéfice de la population. Celle du rôle de la police est une des conditions de sa réussite.

DU FOND ET DE LA MÉTHODE
REJOIGNEZ SUD INTÉRIEUR

(1)http://www.lepoint.fr/societe/police-le-retour-de-la-politique-du-chiffre-01-04-2016-2029325_23.php
(2) https://lejournal.cnrs.fr/articles/comment-ameliorer-les-relations-entre-police-et-citoyens
(3) Depuis 2011, c’est le défenseur des droits qui a repris ses missions
(4) http://www.syndicat-magistrature.org/Concertation-au-ministere-de-la.html
(5) Selon le rapport annuel de de la Cour des comptes visé au (6) « l’activité des sociétés privées de sécurité se caractérise depuis plusieurs années par sa forte croissance. Leur nombre s’établissait à 10 650 en 2016, en augmentation continue (+ 8,6 %) depuis 2011. Elles ont dégagé un chiffre d’affaires d’un peu plus de 6,6 Md€ hors taxes en 2016 au lieu de 6 Md€ en 2014, soit une hausse de 10 %, conséquence du contexte sécuritaire actuel. Au 31 décembre 2016, elles employaient 167 800 salariés, soit une augmentation de 4,5 % par rapport à 2015 et de 14,3 % depuis 2011. Les donneurs d’ordre publics (État et ses opérateurs, collectivités territoriales, entreprises publiques) représentent 26 % du chiffre d’affaires du secteur ».
(6)http://www.lemonde.fr/societe/article/2018/02/06/la-regulation-du-secteur-de-la-securite-privee-etrillee-par-la-cour-des-comptes_5252645_3224.html. Pour consulter le rapport dans son intégralité : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-02/05-activites-privees-securite-Tome-1.pdf