Loi relative à la Sécurité Publique : un testament gouvernemental dont on se serait bien passé

Le 28 février 2017 était publié au journal officiel ce texte dont les principaux contours sont les suivants : élargissement aux policiers (y compris municipaux) et aux douaniers de la possibilité de faire usage de leur arme, anonymisation de la procédure renforcée pour les douaniers, policiers et gendarmes dans les procédures dans lesquelles ils sont partie-prenante, doublement des peines encourues pour les aligner sur le régime spécifique appliqué jusque-là aux seuls magistrats en cas d’outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique, ouverture de la possibilité d’un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection des personnes.

Dans les faits, cette loi relative à la sécurité publique donne une traduction législative aux exigences les plus folles des principaux syndicats de policiers nationaux (Alliance, Synergie Officiers, Unité-SGP-FO et UNSA Police) mais aussi municipaux (syndicats de défense des policiers municipaux (SDPM) ou national des policiers municipaux (SNPM-FO), CFDT-FSPC) visant à affranchir les policiers des obligations posées par la loi dans leur action.

Une attitude totalement irresponsable de ceux qui ne cessent par ailleurs de critiquer, en des termes peu amènes, magistrats et politiques pour la plus part forcément trop « laxistes », interdisant par contre à quiconque de critiquer l’action des forces de l’ordre.

Bref, de leur procurer un sentiment d’impunité totale dans leur action, aussi dangereux pour eux que pour la population, tellement il creusera encore le fossé qui les sépare déjà de nombreux citoyens, en particulier les jeunes hommes des quartiers populaires dont le Défenseur des droits, peu suspect de défiance à l’encontre des forces de l’ordre, rappelle dans un rapport publié le 20 janvier dernier que ceux « perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité 20 fois plus importante d’être contrôlés ». 95% des personnes ayant subi un contrôle abusif ne font pas reconnaître cette situation, estimant qu’une plainte serait inutile » (7).

Ce sentiment d’impunité est favorisé par la combinaison de 3 dispositions du texte : l’élargissement de l’usage de l’arme dans l’exercice de leurs fonctions, de l’anonymisation des procédures et enfin le doublement des peines encourues en cas d’outrage.

Loi Sécurité Publique, pour Sud Intérieur, c’est non !

L’élargissement de l’usage de l’arme de service ou la consécration d’un « permis de tuer » ?

Le premier sera forcément interprété comme une forme de « permis de tuer » ou tout le moins d’ «un  droit à tirer » (8), alors pourtant comme, nous le relevions déjà le 7 novembre 2016, avant la promulgation de cette loi, que l’élargissement des conditions d’usage des armes par les policiers avait été écarté par le législateur malgré de multiples tentatives aux motifs de son « incompatibilité […] avec la Constitution et le droit international, notamment la jurisprudence de la Cour de Strasbourg », avec pour conséquence de « renforcer la défiance de l’opinion et le sentiment d’insécurité que générera l’élargissement de l’usage des armes » (9).

Un « permis de tuer », même plus restrictif, qui sera aussi ouvert en définitive aux policiers municipaux, alors que ce n’était pas prévu dans le projet de loi initial déposé par le gouvernement.

Cette dernière évolution ne surprend pas SUD INTERIEUR puisqu’elle n’est que la suite logique des instructions données le 29 mai 2015 aux préfets par le ministre de l’intérieur devenu le premier d’entre eux depuis, Bernard CAZENEUVE, leur ordonnant de satisfaire toutes les demandes formulées en ce sens.

Armement des agents de sécurité privée : l’ouverture d’une nouvelle boîte de…pandore !

Une autre très dangereuse étape est franchie : l’ouverture de la possibilité de l’armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection de personnes exposées à des risques exceptionnels d’atteinte à sa vie.

Il s’agit donc d’une nouvelle « fuite en avant » sans fin, qui n’a pas de raison de s’arrêter, la prochaine étape étant sans aucun doute un rapprochement très sensible des prérogatives des policiers municipaux avec celles des policiers nationaux, en passant, par un accroissement de celui des agents de sécurité privée.

C’est exactement ce que préconise « l’illuminé » sécuritaire Eric CIOTTI dans sa « Proposition de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure et la justice » (10), à savoir : « élargir les compétences des polices municipales » avec comme « cerise sur le gâteau » la possibilité pour les « policiers municipaux [de] se prévaloir des dispositions prévues pour la légitime défense des policiers et des gendarmes », mais aussi des agents de sécurité privée qui pourraient prendre à leur charge « des missions de relevages automatisés de vitesses, […] la réalisation de gardes statiques ou de garde de détenus hospitalisés, […] d’assurer des missions de gestion et la conservation des scellés judiciaires »,, sans parler évidemment d’élargir encore le champ de ceux qui pourront être armés  « pour tenir compte des risques encourus dans le cadre des missions nouvelles qu’ils auront à exercer ».

Anonymisation des procédures : le principe du contradictoire jeté aux « orties »

L’extension, jusque-là autorisée pour les seules affaires liées terrorisme, de l’anonymisation des procédures engagées (11) sur demande des fonctionnaires, dès l’instant où ils établissent que la révélation de leur identité mettrait « en danger [leur] vie ou [leur]son intégrité physique ou celles de[leurs] proches » [notions oh combien floues] aura inévitablement pour conséquence une inflation en la matière puisqu’elles n’auront besoin que de l’assentiment « d’ « un responsable hiérarchique d’un niveau suffisant, défini par décret », et qu’elle s’effectuera en dehors du contrôle du juge.

L’imposture est ici double. D’abord parce que l’état du droit actuel pourrait laisser penser que chaque policier, gendarme ou douanier serait une cible facile pour tout mise en cause ? Comme si les adresses personnelles des agents publics figuraient sur les actes administratifs ou judiciaires qu’ils édictent !

Ensuite parce qu’une telle disposition est illégale et contrevient très gravement au principe fondamental du contradictoire, auquel certaines restrictions ne peuvent être apportées, sous contrôle très strict et sourcilleux du juge (fort heureusement – mais pour combien de temps encore au rythme infernale de publication des lois attentatoires à la préservation des libertés publiques ?) qu’à la condition qu’elles soient absolument nécessaires et compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires.

Quant au doublement des peines encourues en cas d’outrage aux personnes dépositaires de l’autorité publique, il laisse entendre que celles prononcées actuellement seraient insuffisantes et les juges ainsi forcément laxistes, selon une rengaine bien connues de la quasi-totalité des syndicats policiers.

Il s’agit d’un mensonge, les peines prononcées étant régulières et sévères, comme le rappelle la commission nationale consultation des droits de l’homme (CNCDH) dans son avis émis à l’unanimité de ses membres du 23 février 2017 remarquablement circonstancié « démolissant » cette loi :

« L’étude des poursuites et des condamnations ainsi que des peines prononcées témoigne aisément du fait que les outrages aux forces de l’ordre sont très largement poursuivis et sévèrement réprimées dans le cadre des dispositions actuelles. Entre 1990 et 2009, selon une étude statistique du ministère de la Justice, « les condamnations pour outrages et rébellions progressent de 75% » (12).

SUD INTERIEUR dénonce par conséquent donc ce dernier avatar législatif, dont Bruno LEROUX s’est réjoui à la tribune du Parlement qu’il avait fait quasiment l’unanimité (moins quelques rares exceptions) y compris celle des élus du Front national, [trop] heureux de voir que leurs revendications avaient été satisfaites (13).

Quel plus funeste symbole que de terminer une législature par un consensus de ce genre !

II est donc temps de « Sortir de l’imposture sécuritaire », titre de l’excellent ouvrage de Vincent SIZAIRE ? dont nous conseillons la lecture (aux éditions La Dispute).

Durant son quinquennat, ce gouvernement s’est donc [particulièrement] « illustré » en poursuivant une double régression déjà engagée depuis plus de 3 décennies par tous les gouvernements successifs : détruire à la fois les droits des travailleurs (durant ce quinquennat notamment lois dites « EL KHOMRI », « Macron » et « REBSAMEN ») et les libertés publiques. Un bilan désastreux.

SUD INTERIEUR n’est pas seul à dénoncer les violences policières et l’arsenal législatif toujours plus conséquent en favorisant les prolifération et légitimation totalement insupportables.

Depuis de nombreuses années, outre des citoyens souvent esseulés, des institutions ou organisations de défense des droits humains qu’on ne peut soupçonner de « phobie » anti-policière dénoncent les violences des forces de l’ordre envers la population : l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), Amnesty international, la Cimade, la CNDCH, le comité contre la torture de l’organisation des nations unies (ONU), le Défenseur des droits, La Ligue des droits de l’homme (LDH), etc.

La Cour européenne des droits de l’homme condamne de son côté régulièrement depuis 1992 la France pour des violences policières en violation de l’article 3 de la Convention européenne du même nom prohibant les traitements inhumains et dégradants.

Dénier la réalité comme le font les principaux syndicats de policiers relayés par la compagnie des « illuminés » sécuritaires qui foisonne dans bon nombre de formations politiques, est par conséquent aussi scandaleux que dangereux.

Il est temps de mettre fin à ces pratiques dont les principales victimes sont les catégories populaires mais aussi les militants associatifs, politiques et syndicaux, et d’organiser sur ce sujet, mais plus globalement sur la place de la police dans la société, un très large débat démocratique ouvert.

C’est la seule solution possible pour faire retomber la pression pour que s’installe une véritable relation de confiance entre citoyens, policiers et gendarmes.

SUD INTERIEUR : DU FOND ET DE LA METHODE

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