« Car, contrairement à Nicolas Sarkozy et Fadela Amara qui ont pu déclarer que ces évènements n’avaient à voir qu’avec de la « voyoucratie » et étaient l’oeuvre d’une « minorité », ceux-ci ont au contraire tout à voir avec la question sociale : chômage endémique dans ces quartiers, sans perspective d’en sortir et cela, notamment en raison d’une discrimination à l’embauche connue de tous, échec scolaire des adolescents, pression policière avec la multiplication des contrôles notamment au » faciès », nombre de ces jeunes étant les enfants ou petits enfants d’immigrés (bien que pour la quasi-totalité, français puisque nés sur le territoire national, leur pays). »
Ces mots sont tirés de notre tract « Deux morts à VILLIERS-LE-BEL : les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets », datant de 2007 (1). Ils résonnent toujours avec autant d’actualité. Et ils pourraient résonner encore de nombreuses années maintenant que l’État légitime devant la justice les contrôles au faciès.
Le 24 juin 2015, l’État était condamné pour faute lourde par la Cour d’Appel de Paris dans cinq dossiers de contrôle d’identité sur treize plaintes déposées à son encontre. Des contrôles jugés discriminatoires par la justice. En résumé, des contrôles au faciès (2).
Un jugement inédit qui aurait pu ouvrir la voie à un débat sur ce sujet épineux et permettre d’y trouver des solutions. Mais non, l’État préféra une nouvelle fois fermer les yeux et décida, en octobre dernier, de contester la décision devant la Cour de Cassation.
Et pour contester, l’État a choisi de légitimer… la discrimination.
Le 25 février dernier, Mediapart publia des extraits d’un mémo de l’agent judiciaire de l’État expliquant les raisons qui motive l’État à contester le jugement de la Cour d’Appel de Paris. Le représentant de l’État écrit, pour l’une des affaires, que « les réquisitions du parquet entendaient que soient réalisés des contrôles d’identité pour rechercher et poursuivre, en particulier, les infractions à la législation sur les étrangers. La cour d’appel ne pouvait alors dire que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde établie par le contrôle (…) de la seule population dont il apparaissait qu’elle pouvait être étrangère, sans rechercher si ce contrôle n’était pas justifié par l’objet de la réquisition en exécution de laquelle il était réalisé ». En gros, au regard de l’affaire, la seule apparence physique justifiait le contrôle. Suivant sa logique, si un policier recherche des étrangers en infraction, il peut contrôler des noirs et des arabes.
Or, cela va à l’encontre de la jurisprudence qui, en la matière, demande aux policiers des critères objectifs comme l’entrée et la sortie d’une ambassade, la conduite d’un véhicule immatriculé à l’étranger, l’apposition d’affiches en langue étrangère… L’apparence physique en est exclue ! Si l’État a été condamné, c’est que les critères objectifs n’étaient pas remplis et que c’est l’apparence physique qui a primé.
NIER, MINORER POUR ENSUITE LÉGITIMER LA DISCRIMINATION
En contestant ce jugement et en prenant le parti de se défendre en légitimant des méthodes policières discriminatoires, l’État continue de se voiler la face et laisse pourrir une situation catastrophique aussi bien pour les personnes visées par des contrôles au faciès que pour les policiers et l’ensemble de la société. Il nourrit un ressentiment de nombreux-ses français-es issu-es de l’immigration, comme avec la déchéance de nationalité. Dans son mythe d’une République unie, il reste aveugle à la discrimination que subissent de nombreuses personnes, qu’elle soit raciste, religieuse, sexiste ou sociale. Il fait le lit des monstruosités identitaires qui atrophient le débat politique et médiatique depuis des décennies.
Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a emboîté le pas à cet aveuglement le 2 mars dernier alors que l’Assemblée Nationale examinait le projet de loi sur la réforme pénale. Concernant la possibilité de délivrer des récépissés lors des contrôles d’identité, Cazeneuve a rejeté, comme Valls avant lui, la mesure, déclarant que les contrôles au faciès étaient un phénomène « tout à fait marginal ».
En l’absence de statistiques officielles à grande échelle, il est difficile de se prononcer sur l’ampleur du phénomène mais des études localisées ont permis de démontrer que le phénomène n’avait rien d’anecdotique et qu’il pouvait être généralisé comme celle désormais célèbre de mai 2009 menée conjointement par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Open Society Justice Initiative sur plusieurs gares parisiennes et leurs abords (3).
Si nous ne pouvons affirmer objectivement que les contrôles au faciès sont une réalité généralisée dans les pratiques policières en l’absence d’études de grande ampleur, Bernard Cazeneuve ne peut pas dire qu’ils sont marginaux pour les mêmes raisons. En revanche, les études actuelles et les nombreux témoignages, comme ceux publiés par le collectif Stop Contrôle Au Faciès avec les Maux du Deni, devraient inciter l’État à ouvrir un vrai débat sur le sujet en réunissant tous les acteurs concernés.
Mais disons-le clairement. Le contrôle au faciès est une réalité. Et, dans certains secteurs et dans certaines pratiques, il ne nous semble pas marginal. Cependant, il serait faux de penser que ces pratiques discriminatoires sont le fait de brebis galeuses, de policiers racistes ou cherchant une quelconque prime au mérite en « faisant du crânes » à outrance. Ces pratiques discriminatoires sont des conséquences. Conséquences de politiques discriminatoires, que les gouvernements successifs ont entretenu pour maintenir le statu quo, celui qui veut que les possédants continuent de posséder et que le peuple continue de trimer.
Or, dans ce scenario qui se joue depuis toujours, le contrôle social est essentiel et maintenir des pratiques discriminatoires au sein de la police permet de maintenir ce contrôle social.
LES POLICIERS PRIS AU PIÈGE
Les policiers se retrouvent piégés dans un cercle vicieux où le contrôle au faciès est insidieusement banalisé voir officieusement encouragé par une politique du chiffre et de la performance déshumanisante. Demandez à un fonctionnaire de police s’il pratique des contrôles au faciès, il vous dira sincèrement non… même s’il le fait. Pour nombre de policiers, contrôler un jeune à capuche dans certains secteurs relèvent d’une évidence au vu de leurs expériences professionnelles. Le contrôle au faciès serait-il une sorte d’effet tunnel professionnel sur lequel le policier n’a pas de capacités de recul ? Il est certain que les policiers n’ont aucun retour sur leurs pratiques professionnelles, enchaînant les patrouilles et les missions à la recherche, dans leur idéal, de délinquants et, dans l’idéal hiérarchique et étatique, de « bâtons » à exhiber dans des bilans et des communiqués.
La question du contrôle au faciès pose la question du faire police dans son ensemble, de la relation entre la police et la population, particulièrement dans les quartiers populaires, et de l’instrumentalisation de la police dans la frénésie sécuritaire qui accompagne la régression sociale. Il n’est pas si étonnant de voir que le contrôle de police discriminatoire soit légitimé par l’État au même moment que la déchéance de nationalité et la permanence de l’état d’urgence, que la régression sociale promise par le projet de loi sur le code du travail ou la possibilité d’armer les vigiles privés.
Quand un système se meurt mais qu’il souhaite perdurer le plus longtemps possible, il se doit de recourir à l’autoritarisme, voire plus, pour se maintenir.
Sud Intérieur n’est pas le seul syndicat de police à dénoncer l’existence du contrôle au faciès. En son temps, à la fin des années 90 et au début des années 2000, le Syndicat de la Police Nationale et son secrétaire général Erik Blondin en dénonçaient la pratique et son instrumentalisation pour la politique du chiffre.
Ce dernier déclarait, dans un article de Libération datant du 2 octobre 2007 : «Ainsi dans une période déterminée et dans un lieu cadré, les policiers peuvent contrôler sans motif préalable. Les policiers quadrillent un secteur et interpellent pratiquement systématiquement toutes les personnes qu’ils croisent, avec palpation, et passage au fichier. On recherche des voleurs des agresseurs et éventuellement des étrangers en situation irrégulière. Dans l’esprit de ce texte, l’interpellation d’étrangers en situation irrégulière ne peut être qu’incidente. La perversité qui se met en place aujourd’hui, ce n’est plus le procureur qui demande d’effectuer des contrôles, c’est le commissaire de l’arrondissement qui demande la réquisition au procureur et c’est le procureur qui l’envoie. On a inversé les rôles ».
Il poursuivait : « Théoriquement, le procureur, lui, en donnant un «78-2» attend des effectifs qu’ils aillent rechercher tous les délits possibles. Dans la réalité, les consignes verbales qui sont données aux effectifs c’est d’effectuer un «78-2 » pour interpeller des étrangers en situation irrégulière. En procédant ainsi, la hiérarchie commet un acte illégal. Parce qu’elle demande aux effectifs de police de procéder à une discrimination à caractère racial. Quand on demande de contrôler des étrangers, on demande de contrôler au faciès. On est dans la perversité et dans la transgression de l’esprit de la loi ».
On peut rajouter qu’au fil des années, le contrôle d’identité est devenu la base du travail policier, un mécanisme automatique qui s’est inscrit dans les habitudes professionnelles au quotidien favorisé par une évolution législative en en élargissant sans cesse le champ depuis le début des années 1980 (4). En supprimant les îlotiers, la Police Nationale a tué une certaine idée de la proximité et a coupé la relation entre les policiers et les usagers. Les informations perdues dans ce lien social police-population, il a fallu les combler avec encore plus de contrôles d’identité. Ce n’est pas sans rappeler l’appauvrissement du renseignement humain au profit de l’émergence d’un Big Data invasif. Pourquoi chercher des sources humaines si on peut espionner tout le monde ?
En sécurité publique, cela a donné « pourquoi chercher des informations au contact de la population si on contrôle systématiquement ceux qui nous semblent être le problème » ? Indéniablement, ce changement a opéré et modifié profondément la manière de travailler du policier, aidant l’État à accentuer son contrôle social, lui évitant d’intervenir socialement dans certains quartiers en matière d’éducation, d’emploi, de culture, de services publics… Après tout, le patronat et la finance ont bien plus besoin de l’argent public que le peuple !
Les fonctionnaires de police sont eux enfermés dans une logique corporatiste et coincés dans une frénésie sécuritaire de la performance, dans des conditions de travail souvent difficiles parfois précaires, et n’ont plus le recul et l’analyse nécessaires sur leurs pratiques professionnelles. L’urgence permanente de résultats est passée par là. Dans de telles conditions et malgré leurs efforts, il leur devient de plus en plus difficile d’effectuer un travail de qualité qui soit régulièrement autre chose que du contrôle social.
DÉMOCRATIE, JUSTICE SOCIALE ET POLICE
Pour Sud Intérieur, le débat n’est pas de savoir si les policiers sont racistes ou non, et si les contrôles au faciès sont irrémédiablement liés à cette question. Ce serait se tromper de débat en allant à la facilité des clichés et en oubliant que les policiers, dans bien d’autres types d’interventions policières et sur de nombreux contrôles, respectent tant la loi que les individus, faisant leur métier risqué pour le bien commun. Le débat se pose sur la structure ou, plutôt, les structures : État, ministère, police nationale. Elles portent en elles les mécanismes de la discrimination, hérités de l’histoire de France, des injustices sociales du système capitaliste et de l’archaïsme des institutions de la Vème République.
On ne peut juger les actes individuels que dans un contexte dans lequel ils s’inscrivent. Or, celui du travail policier n’est pas très reluisant, tant au niveau des conditions de travail des fonctionnaires de police que de la réalité vécue quotidiennement par des populations mises à l’écart ou montrées du doigt, de manière encore aggravée depuis les attentats de l’année 2015.
Nier, minorer, légitimer, voici la réponse de ceux qui nous gouvernent depuis des décennies et qui sont responsables des injustices commises. Injustices que commence à reconnaître la justice. Emboîtons-lui le pas et crevons l’abcès. Il est temps de réagir, de discuter, de proposer.
Récépissés, caméras piétons filmant H24, formation accrue sur les contrôles d’identité et leur jurisprudence sont sans doute des mesures potentiellement utiles pour juguler quelque peu le phénomène, sans qu’elles soient pour autant la véritable solution au problème posé. L’urgence est également de repenser le faire police et ses objectifs, sans quoi les quelques mesures énoncées ci-dessus ne seraient que mesurettes.
Il faut repenser la police, ses missions et ses interactions avec la population.
Il faut la placer au service de tous et non plus au service de quelques-uns, en accord avec l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Il faut la sortir des logiques chiffrées déshumanisantes et destructrices pour le lien social.
Il faut la démocratiser et la libérer du carcan sécuritaire.
SUD INTÉRIEUR
DU FOND ET DE LA MÉTHODE
POUR UNE AUTRE POLICE
(1) Document consultable ici-> https://sudinterieur.fr/2007/12/21/deux-morts-a-villiers-le-bel-les-memes-causes-produisent-toujours-les-memes-effets/
(2) Le jugement, d’une parfaite clarté est consultable ici-> surhttp://www.lexisnexis.fr/back-office/JP_CA_paris_20150624_13-24277_controle_identite_discrimination_race_origine.pdf
(3) Consultable ici ->https://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/french_20090630_0_0.pdf. Human Right Watch a également publié un rapport accablant de 62 pages sur le sujet en janvier 2012->https://www.hrw.org/fr/news/2012/01/26/france-des-controles-didentite-abusifs-visent-les-jeunes-issus-des-minorites
(4) Comme le rappelait fort bien Nathalie Ferré, membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) dans une tribune publiée sur le site Métropolitiques le 30 janvier 2013 et consultable ici->http://www.gisti.org/spip.php?article3026
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