Beauvau de la sécurité : redéfinir le rôle de la police face aux dérives sécuritaires

Le Beauvau de la sécurité s’est ouvert le 25 janvier et constitue déjà un échec. Il suffit de regarder ces participants pour voir dans quelle logique se déroule ce brainstorming de la start-up nation. Cette logique, déjà présente depuis plus de 20 ans et faisant déjà bien des dégâts, est celle d’une logique néolibérale et ultra sécuritaire dont le but n’est autre que le maintien d’une organisation inégalitaire de la société, favorable à une minorité possédante et devant contrôler l’immense majorité afin que celle-ci ne veuille pas changer cette organisation injuste tout en continuant à être de dociles travailleurs/électeurs/consommateurs.

Cette dérive sécuritaire, ou plutôt ce délire sécuritaire, n’est en aucun une solution face à la criminalité et la délinquance. Ce n’est d’ailleurs pas son but premier. Ce type de politiques est avant tout un moyen de contrôle social. Et ce type de politique crée, in fine, bien plus de problèmes qu’il n’en résout. Ce que montre l’histoire, c’est que pour lutter efficacement contre la criminalité et la délinquance, il faut des politiques sociales fortes. Il faut tout simplement améliorer la vie des gens.

L’aide social coûtant un “pognon de dingue”, le gouvernement a fait son choix : celui de permettre au marché de la sécurité de se faire un pognon de dingue

L’insécurité est un problème social, pas policier

Quand un problème est d’ordre social, sa réponse ne peut être que sociale. La police n’a donc pas vocation être la réponse première, ni même à être une réponse tout court. Elle ne devrait être qu’un rouage d’urgence dans la grande mécanique de l’État et les réponses qu’il apporte socialement au problème de l’insécurité. Mais quand la police devient l’un des rouages principaux, voire trop souvent le principal, c’est que l’État et les gouvernements qu’ils le contrôlent, ont abandonné toute idée d’apporter une vraie solution à la violence sociale qui génère crimes et délits. Cela veut dire qu’ils entérinent les injustices de cette société, qui profitent à une minorité, et que l’insécurité ne devient qu’une variable politique dans le cadre des élections et un juteux filon économique.

Au regard des personnes qualifiées qui constituent les acteurs du Beauvau de la sécurité, on reste dans cette même logique. En effet, la plupart de ces personnes dites qualifiées sont issues du monde de l’entreprise et on trouve très peu de représentants du monde universitaire, des associations ou, plus largement, des organisations et acteurs de terrain qui luttent au quotidien face aux violences policières et à l’amélioration des relations police population. Cela indique clairement le choix fait par le gouvernement de ne pas réformer la police et de simplement l’ajuster sur le modèle libéral, une logique qui privilégie toujours le sécuritaire et la politique du chiffre. Le tout enrobé par une communication grandiloquente mais ô combien superficielle comme c’est devenu l’habitude de ce gouvernement. Comme dit plus haut, cette logique libérale et sécuritaire n’entend pas résoudre les problèmes d’insécurité mais simplement asseoir, de manière autoritaire, les inégalités de notre société ainsi que le contrôle social et la surveillance généralisée de la population. Cette politique nous met en danger collectivement, les policiers y compris, et les fondements mêmes de la démocratie sont attaqués.

Réfléchir au rôle de la police dans une société démocratique

Aujourd’hui, on ne peut parler de réformer la police sans s’interroger sur son rôle passé et présent mais aussi sur le type de société que nous voulons. En effet, on ne peut traiter la police comme une simple donnée technique et les gardiens de la paix comme de simples techniciens de la sécurité, dont il faudrait ajuster la formation, les conditions de travail ou encore l’équipement. Le rôle de la police est profondément, intrinsèquement, lié à un choix de société et donc aux exigences démocratiques que nous avons pour ladite société. C’est un débat politique qui doit s’engager sur la police et son rôle dans un cadre démocratique car les enjeux ne sont pas uniquement de lutter contre la criminalité et la délinquance mais de savoir quel impact à la police et les politiques sécuritaires sur nos capacités collectives et individuelles à améliorer notre société.

La police a toujours eu une double fonction de contrôle et de protection. L’évolution normale de notre démocratie aurait dû conduire à un effacement progressif de son rôle de contrôle, à réduire son action répressive et à faire de son rôle de protection une fonction secondaire de l’État. Une évolution que ne permet pas un modèle libéral de plus en plus inégalitaire. Actuellement, la police est devenue centrale dans le débat public tout comme ses impératifs dictent, de plus en plus, ceux de notre société, jusqu’à nos lois, demandant aux policiers de résoudre des problèmes hors de leurs compétences. Ceci nous conduit à une société de plus en plus autoritaire, de plus en plus liberticide.

Normalement, une démocratie qui fonctionne devrait avoir comme objectif une société qui n’a nul besoin de police. Mais une démocratie qui a besoin de plus en plus de police, et qui a besoin de donner de plus en plus de pouvoirs à sa police, est une démocratie qui dysfonctionne profondément. Cela veut dire qu’elle abdique à s’améliorer, à créer des conditions de vie dignes pour toutes et tous et donc à éliminer réellement toute forme d’insécurité et de violence. Plus largement, une démocratie qui use de multiples violences institutionnelles, au-delà de la seule police (répression judiciaire, répression syndicale, attaque contre la presse ou les libertés académique, éducation publique orientée vers un prétendu roman national et le monde de l’entreprise, etc) est une démocratie qui, loin de garantir sécurité et liberté comme nos gouvernants le déclarent, empiète sur la liberté de tous pour la sécurité de quelques-uns, quittant petit à petit l’idée même de démocratie. Une pente dangereuse.

Un débat sur la police est donc avant tout un débat sur un modèle de société et sur les principes démocratiques, car c’est un débat qui doit chercher quel type de société n’aura plus besoin de police, de tribunaux et de prison. Bien entendu, c’est un idéal que l’on doit se fixer et, entre cet idéal et la réalité que nous vivons, nous devons trouver les meilleurs moyens d’apporter des solutions en terme de sécurité au quotidien. Cependant, ces solutions ne peuvent être uniquement des réponse policières et judiciaires. Face à des problèmes sociaux beaucoup plus larges, police et justice, même avec des moyens accrus, seront toujours limitées dans ce qu’elles peuvent amener comme solutions. Par exemple, tous les troubles et nuisances que peuvent amener la misère sociale, les discriminations en tout genre ou encore les troubles psychiatriques ne pourront jamais être pris en charge de manière pérenne par une réponse policière et judiciaire. Et même souvent dans l’urgence, cela pose problème. Or, les moyens accordés à ce qui peut être des vraies solutions (hôpitaux, services sociaux, prévention spécialisée, associations, hébergements d’urgence…) sont dérisoires. Les policiers en sont bien conscients et se passeraient bien de ce rôle. Mais cela ne ferait pas les affaires d’un État dont les priorités sont toutes autres en matière de sécurité et de contrôle.

Sud Intérieur aspire à une société sans police, sans tribunaux et sans prison, et c’est pour cela que notre syndicat milite au-delà de la seule sphère professionnelle, s’engageant dans un syndicalisme de lutte et de transformation sociale. Car pour arriver à cette société, qui nous paraît encore utopique mais qui ne dépend que des choix que nous faisons collectivement, il faut changer de modèle social et démocratique. Il faut donc changer la police tant sur la forme de son organisation que sur le fond de ses missions, et donc du rôle qui lui est assigné. Et ce n’est pas un changement qui doit s’opérer quand les conditions seront réunies mais c’est un changement qui doit participer à créer les conditions qui doivent être réunies.

C’est ainsi que l’on redonnera du sens au métier de policier et sa juste place dans la société. Cela sera aussi le moyen d’accroître la sécurité de tous, y compris celle des policiers eux-mêmes, car cela signifierait que l’état apporterait enfin des réponses sociales à un problème social, effaçant les violences qui en découlent, qu’il mettrait fin à une stratégie de tension permanente entre ses représentants et le corps social, stratégie qui aujourd’hui met en danger non seulement les policiers mais aussi tous les agents de l’état, tous les agents des services publics, et toute la population d’une manière générale.

Beauvau de la sécurité : l’échec annoncé des vieilles recettes libérales et sécuritaires

Alors qu’attendre du Beauvau de la sécurité quand la population n’est pas représentée, quand la recherche universitaire n’est quasiment pas présente, donc quand on ne fait appel ni à la réalité des faits et ni à celle du vécu ? Qu’attendre du Beauvau de la sécurité quand ceux qui vont débattre ne sont que les représentants de tout ce qui a échoué, que ce soit le monde de l’entreprise, les syndicats majoritaires de la police et les élus de parti qui, au pouvoir, n’ont fait qu’appliquer les mêmes recettes libérales et sécuritaires qui nous ont conduit où nous en sommes aujourd’hui ? Ceux qui seront autour de cette table, à quelques rares exceptions près, comme la Défenseure des Droits, ne sont qu’une somme d’intérêts particuliers qui n’ont eu de cesse, jusqu’à présent, de défendre leurs chapelles et leurs prérogatives sans se soucier réellement du bien-être commun. Car si les logiques libérales et sécuritaires se souciaient réellement du bien-être de toutes et tous, elles plaideraient pour des politiques sociales fortes et pour garantir les libertés individuelles et collectives, tout l’opposé des politiques libérales et sécuritaires.

Pour Sud intérieur, il est urgent que le débat sur la police, et une manière plus générale sur la sécurité, prenne une autre dimension et puisse explorer de nouvelles voies. Il est urgent que ce débat se tienne d’une manière plus large que ce que prévoit ce Beauvau de la sécurité, vague brainstorming de la start-up nation, avec l’ensemble des organisations et individus qui souhaitent construire une société plus juste, plus équitable, plus démocratique, plus consciente des enjeux sociaux et écologiques face aux urgences vitales, pour la planète et ses habitants, que révèlent la pandémie de la Covid-19, les crises économiques ou encore les catastrophes climatiques. En débattant sur la police, c’est donc un débat sur quelle société nous voulons pour notre avenir commun et sur comment nous construisons une société qui, un jour, n’aura plus besoin de police. Un véritable défi de la pensée face au tsunami sécuritaire qui inonde le débat public, les médias, l’organisation et les missions de l’État, et les politiques gouvernementales. Un défi que nous pouvons relever collectivement.

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