Personne n’ignore la crise “opiacée” qui ravage l’Amérique du Nord au point de faire baisser l’espérance de vie d’un grand pays à coups d’overdoses. On a là un exemple effrayant d’une situation hors de contrôle, et en France, déjà quelques signaux qu’une telle crise sanitaire est dans le domaine du possible.
La prescription de médicaments opioïdes est bienvenue, vu leur utilité antalgique incontestable et leur moindre toxicité. Mais en même temps que leur consommation augmente, et qu’ils s’inscrivent dans l’effort de prise en charge de la douleur, le constat est fait d’un déficit d’information quant à la possibilité de dépendance, d’accoutumance, et au risque de survenue d’overdoses par dépression respiratoire.
Cet impératif de prudence est pourtant le prix à payer pour tous les usagers de ces molécules, que les produits soient illicites ou sur prescription.
Aujourd’hui, plus de 10 millions de Français consomment des opioïdes, cause d’au moins 4 à 5 décès par overdose par semaine. Certains sur qui le piège de la dépendance s’est refermé, en font un mésusage dangereux ou, faute de prescription, se tournent vers des médicaments au marché noir, ou des substances illicites, ou se dirigent vers des traitements de substitution aux opiacés (non sans risque, la méthadone tue plus que l’héroïne).
Parmi ces produits, le fentanyl et ses dérivés, opioïdes de synthèse 100 à 10000 fois plus puissants que la morphine, sont d’ores et déjà des produits de coupe de l’héroïne. Très addictif, actif à des doses infimes (la dose létale est de 2 mg) et bon marché, le fentanyl a de l’avenir…
Les laboratoires de police scientifique ont d’ailleurs édité il y a quelques mois, à l’attention de leurs techniciens, des consignes de sécurité de manipulation des fentanyloïdes.
Aujourd’hui donc, les médicaments opioïdes tuent plus et plus souvent que les drogues.
Il n’existe qu’un antidote à l’overdose, antagoniste des récepteurs opioïdes : la naloxone. Ayant reçu son AMM en janvier 2018, sous forme d’un spray nasal très simple d’usage (Nalscue), elle n’a pas bénéficié d’une campagne d’information qui aurait été justifiée. Indisponible en pharmacie et cantonnée aux structures de prise en charge des addictions, son accès est resté confidentiel.
Au mois de juin 2019, une autre forme de naloxone a été mise sur le marché, le Prenoxad, un kit d’injection contenant 5 doses, qui lui est accessible en pharmacie… pour ceux qui le savent.
Des débats et réunions ont eu lieu entre administrations, structures et professionnels concernés, des tribunes et communiqués ont été publiés qui tiraient le signal d’alarme : son accès doit être facilité, la naloxone est indispensable, et le sera de plus en plus.
Nous, forces de l’ordre de terrain, nous étonnons que la question de la dotation de naloxone aux premiers secours ne soit pas considérée comme une priorité.
Tout le monde s’accordant sur un état des lieux de l’usage des opioïdes et un décompte des overdoses peu optimistes, comment est-ce possible que policiers, gendarmes et pompiers, premiers conviés à chaque drame du quotidien, et très souvent les premiers sur place, n’aient pas été envisagés comme un vecteur simple et évident d’accès à la naloxone ?
Il est aujourd’hui évident que l’accès à la naloxone n’est pas optimal, que son utilité est insuffisamment connue, mais que c’est le seul produit approprié à l’urgence vitale d’une overdose.
Confier de la naloxone aux services de secours est une réponse incontournable à ce constat.
Il faut savoir que souvent, quand un appel arrive sur les numéros de secours 17 ou 18 – recours qui, pour ses délais d’intervention très courts, relève presque du réflexe dans ce type de situation d’urgence – les mots “drogue”, “médicament” dont on a abusé, ou “overdose” ne sont pas prononcés. Par culpabilisation et surtout, par peur de la répression.
Alors les messages paniqués restent vagues, évoquent un malaise, une personne inconsciente, décédée même, la respiration étant devenue imperceptible. Et on perd du temps. Car en cas d’overdose, quand les précisions données ne font aucun doute, c’est un Samu qui est directement envoyé.
Alors dans la plupart des cas, ce sont les policiers, gendarmes, ou les équipages de premiers secours des pompiers qui, sur place, dans un domicile ou sur la voie publique, font appel au Samu. Ajoutant de fait, faute de naloxone, un délai qui peut être fatal à la victime d’overdose. Dans une grande ville, le Samu pourra ne pas trop tarder à arriver, mais ailleurs ?…
Forces de l’ordre et pompiers ont une solide formation en secourisme, ils savent reconnaître les signes de l’overdose et pratiquer les premiers gestes de réanimation appropriés. Mais ce n’est pas suffisant, la naloxone offre des chances de survie bien supérieures.
Cette molécule est sans effets secondaires, sans risque de surdosage, et inerte en cas d’erreur de diagnostic, il n’y a pas de risque à l’administrer.
États-Unis, Canada, Norvège… nombreux sont les pays qui ont remis des kits de naloxone aux premiers secours. Cette disposition répond à une logique d’urgence et de service public.
Dans l’État de New-York, policiers et pompiers ont administré de la naloxone à des victimes d’overdose avec un taux de succès de plus de 80% (chiffres 2014-2016).
Il est temps, et la situation l’exige, que les forces de l’ordre, dont la vocation est aussi l’assistance et le secours aux victimes, aient une approche de la question des drogues et opioïdes, et des consommateurs, autre que la répression, et soient impliquées dans la prévention et la réduction des risques.
Nous lançons un appel d’urgence aux administrations concernées, et osons dire que c’est une question de vie ou de mort.
*** Des kits de naloxone doivent être distribués aux services de premiers secours, dont la police et la gendarmerie. Une formation appropriée doit être incluse dans la formation initiale et faire l’objet de stages à cet effet pour les effectifs des services actifs concernés.
*** La naloxone doit être sous forme de sprays : en France, seuls les infirmiers et médecins sont habilités au geste de l’injection. Le Prenoxad n’est pas adapté. Cette forme est moins chère, certes. Mais nous ne nous hasarderons pas à mettre en débat le prix d’une vie.
*** Les effectifs devront être déchargés de responsabilité pénale et civile en cas d’échec de leur tentative de réanimation avec la naloxone.
*** Dans le même temps, une loi telle que le Good Samaritan Law (USA et Canada) doit être votée, qui assure à celui qui prévient les secours et aux éventuels témoins de l’overdose d’éviter toute poursuite judiciaire.
*** Et nous plaidons pour la dépénalisation de l’usage de toutes les drogues, et une politique publique réaliste, sans laquelle aucun travail de prévention, d’information et d’assistance ne pourra se faire avec efficacité et humanité.
Le collectif Police Contre la Prohibition
et le syndicat Sud-Intérieur Solidaires
Paris, le 15 juillet 2019
Destinataires : Ministère de l’Intérieur, ministère de la Santé, Direction Générale de la Police Nationale, Présidence de la Mildeca, Direction Générale de la Santé, Bureau de la prévention des addictions de la DGS, Direction de l’ANSM.